INTERVIEW ☭ SUPERSONIC

Si tu vis à Paris et que tu aimes le rock, tu rates quelque chose si tu ne connais pas le Supersonic à Bastille. Au moment où l’happy hour démarre, nous avons rejoint la fine équipe du Supersonic pour une discussion d’une heure sur les origines du lieu, sa programmation et de nombreuses anecdotes. Aurélien à la programmation, Cécilia et Tiffany à la communication, et Quentin à la production nous ont raconté ça avec le sourire et une bière à la main.

On aime bien les coulisses des scènes, comme nous avons pu le faire pour certains festivals français ou pour le Grand Mix. Comment ça s’est fait le Supersonic ? 

Aurélien : A la base, ça vient des patrons David et Hadrien qui ont racheté l’OPA. Ils sont venus me chercher par des gens interposés car j’avais un bar pendant deux ans à Belleville, nommé Le Buzz. Tiffany était déjà là et on faisait 3 concerts par soir, quasiment tous les soirs dans une petite cave. Tout était auto-financé via l’association, les consos et au bout d’un moment j’en ai eu marre et j’ai décidé de claquer la porte. Un mois plus tard, je viens ici. Au départ, je leur dis que je vais donner des conseils et le lieu me plaît. Coup de bol, je rencontre Cécilia qui travaillait à l’Espace B. La salle était sur le coup d’une fermeture, on organise le concert à l’Espace B. Je lui propose de venir ici, elle est embauché une semaine plus tard.

On était deux dans l’équipe, on a eu besoin de soutien sur la com notamment pour les illustrations. Au bout de 6 mois, notre stagiaire Romain est embauché. Tiffany nous donnait des coups de mains sur le festival et était avec moi au Buzz et finalement, elle nous rejoints. Enfin, on prend Quentin en stage pour aider Romain à la production. Romain part, Quentin est embauché ! Ça reste très familial : Leo le barman, c’est mon coloc et ancien photographe du Buzz. Olivier qui fait la porte, c’est un de mes meilleurs potes. Et Hadrien à l’ingé son, ça fait 8 ans que je le connais. Ils sont tous passés par le Buzz. Puis avec le bureau au-dessus, on est tout le temps là. Ça joue sur l’esprit d’équipe et on est très soudés.

Cécilia : Cette ambiance se ressent vraiment dans le travail. On a chacun un poste mais on discute tout le temps pour échanger en fonction de nos goûts sur les groupes pour la prog. On s’entend tous hyper bien et c’est notre force parce qu’il y a un mélange des genres musicaux aussi. Les idées viennent en réunions ou en soirées et on a la chance d’avoir un manager qui nous fait confiance et nous laisse carte blanche. Ici, au début c’était électro, puis trans et hip-hop et on a poussé pour danser sur du rock jusqu’à 6 h. 

Tiffany : Notre but, c’est de monter des soirées où nous-même on a envie d’aller. 

 A : Dès le début, il y avait l’idée de mixer concert rock en début de soirée et ensuite de mettre des DJ’s. Mais le temps aidant, notre manager s’est intéressé à ce qu’on écoute, a racheté des vinyles, est venu à des concerts avec nous et ça a fait son chemin. A un moment, on perdait de l’argent et c’était quitte ou double. C’est là où on a pu tenter de faire des concerts de rock la nuit et avec du bol, ça a marché. On a un truc assez unique où les concerts tiennent et même maintenant on arrive à mixer les gens qui venaient pour la nuit et s’intéressent aux concerts. C’est pour nous le plus gros défi en termes de com. Nos soirées clubs sont assez rock donc les gens ne sont pas perdus. C’est bon ambiance, les gens s’amusent, on boit des coups, on s’éclate, tout le monde est content. Tu n’as pas d’autres lieux où voir des concerts rock jusqu’à 1 h du mat le week-end. 

Elle se construit comment cette prog ? 

Ça a commencé par mon petit réseau. Maintenant pour les têtes d’affiches, beaucoup d’agences françaises ou européennes. Après pour amener de la mixité dans le lieu et faire que ce soit différent, au moins un groupe étranger par soir. Quentin m’aide beaucoup là-dessus. On fait des sessions d’écoute à 4 avec les casques et on décide de voir comment on va le faire. On mise sur des groupes et parfois j’arrive avec un groupe mortel que je viens de découvrir, je le passe aux autres et je fais tout pour l’avoir. On en fait assez peu mais ça suit. Holy Motors, un groupe estonien de shoegaze, qu’on a eu la semaine dernière, est un bon exemple. 

C : Ça nous fait plaisir de voir que lorsqu’on communique en newsletter nos coups de cœurs, le public suit. C’est arrivé aussi avec Moaning en août dernier. 

A : C’était très cool et en fin d’année sur Instagram ils ont mis une photo d’ici en précisant que c’était le meilleur show de la tournée. Alors qu’ils sont arrivés à à bourre sans balance. Je me suis battu pour l’avoir, ça a failli changer de salle à la dernière minute. C’est le genre de groupes que tu ne verras plus ici ensuite. Et c’est d’ailleurs ce qu’on souhaite à tous les groupes qui passent au Supersonic, qu’ils puissent grandir pour jouer ailleurs. 

D’ailleurs, c’est quoi la jauge ici ? 

300 bien tassés. Euh non, plutôt 220. (rires) Après bon, t’as ceux qui sont là pour boire un coup et qui sont assis. 😅

Moins cher que gratuit.

Comme la scène parisienne des concerts est surblindée en mai et novembre, est-ce que vous avez des pics dans la saison ?

A : Janvier et août. Août, on vient d’essayer donc on a peut-être eu une bonne surprise.

C : Il n’y a tellement rien à ce moment là donc on propose et ça marche. En août, on a eu peur pour remplir le line-up mais ça s’est fait avec 10 jours de fermeture. 

A : Mai/Juin, c’est un peu plus compliqué : il fait beau, la période des festivals commence… Les lieux éphémères s’ajoutent aussi avec des concerts. Vraiment plus sur Juin car Mai, on arrive toujours à s’en sortir. La preuve ici, il est déjà complet pour 2019. 

 

Vous vous faites souvent démarcher en direct ? 

Oui, surtout pour les groupes locaux. Après dans la scène psyché, ils se donnent le mot. Et ensuite un contact agent italien qui vit à Berlin qui gère pas mal de groupes psyché, de fuzz en Europe et qui nous contacte régulièrement. On bosse quasiment une fois par semaine avec lui, il a un roster incroyable. Il connaît nos conditions et ça se fait facilement. 

Vous faites comment pour offrir autant de concerts gratuitement ?

La drogue ! (rires) L’alcool et les entrées à 5€ le week-end. On a beau être blindés très souvent, c’est un équilibre assez précaire et si on n’a pas ça, c’est compliqué. Il y a aussi des soirées privatisées qu’on a de temps à autre qu’on organise de moins en moins maintenant. Nos boss viennent de l’événementiel, ils ont un carnet d’adresses qui nous permettait aussi de compter là-dessus parfois. Même dans ce genre de cas lors des privatisations, les gens tournent et descendent pour les concerts. Tout ça forme une bonne dynamique à l’équilibre fragile. Au mois de juin, on fait moins les malins. 

Et question organisation ?

Combien êtes-vous au total ? 

Toute l’équipe, 25. Barmen, vigiles et personnel de ménages inclus. Pas tous à temps plein, notamment pour les barmen. Ils sont plus intéressés par le lieu et sont venus car ils connaissaient. Toujours mieux quand tu te tapes du son tous les soirs !

Comment travaillez vous la com, la visibilité de vos événements ? Comment voyez vous l’importance des réseaux sociaux avec le temps ?

A : On travaille avec des graphistes. Elles devaient prendre la prog, m’ont contacté et ont gardé la com. 

C : Le logo, les programmes, l’univers du bar, c’est elles qui ont géré la totalité. Pour les festivals, pareil on fait un brief et comme on s’entend hyper bien ça va assez vite et c’est stylé ! Avec Tiff, on gère plutôt la partie réseaux sociaux, newsletter, la diffusion sur les concerts et notamment sur les Balades Sonores ou à la sortie des concerts. 

Sur les aftershows, c’est assez récent que vous récupériez des membres de groupe. 

C : Oui, on a eu ça pour les Dandy Warhols récemment, Franz Ferdinand, Carl Barat pour les 3 ans, une très grosse surprise bientôt avec quelqu’un de Manchester. Un rêve qui nous permet de se faire plaisir, ça fait longtemps qu’on le travaille. 

A : Des potes me demandaient si ça c’était mal passé avec ce genre de personnes et je n’ai aucun souvenir de la sorte. Même si on a eu des doutes avec Anton Newcombe, il a été adorable et super cool. Il ne prend plus rien, il a juste voulu un shot à l’apero. BEZ des Happy Mondays, c’était incroyable. Il ne faisait que danser et raconter des conneries en finissant à 6h. Le batteur des Smiths aussi, qui a eu du mal à rentrer à l’hôtel. Des mecs qui ont compris l’ambiance, ils viennent faire la teuf. Beaucoup de gens de la scène de Manchester sont venus, on est des grands fans, c’est un peu un fantasme.
Truc con mais les Horrors sont venus jouer au Fnac Live, ils se sont baladés et par hasard sont arrivés ici. On les a reconnus, on leur a proposé à boire et on avait eu un after-show après leur Trabendo. L’after Depeche Mode après leur Stade de France, on s’est retrouvés avec le batteur qui a débarqué à 3 heures du mat’. Quand un mec se pointe à cette heure-là en disant ça et que le videur te dit ça, tu lui demandes une description et en effet, c’était bien lui. 😉

Cela crédibilise le lieu. On adorerait avoir des after-shows tous les jours mais, c’est sportif. 

Ça ne représente pas plus de budget pour vous ? 

A : Si, mais ça ramène aussi plus de monde donc l’un dans l’autre… Cela développe un nouveau créneau, un autre public. Tu parlais de Bauhaus. On a eu le bassiste qui s’occupait de passer des disques mais Peter Murphy est venu discrètement aussi. 

Q : Notre blague, c’est qu’on s’attendait à ce qu’après le concert, Peter Murphy retourne dans son cercueil. En fait, il a demandé à Quentin où était la fête et il l’a suivi ! D’ailleurs en partant en taxi, un fan l’avait suivi dans la voiture. Et Peter Murphy l’a sorti lui-même du véhicule. (rires)

A : C’était un mélange des genres car avant eux jouaient Cocaïne Piss. Le public de Bauhaus est arrivé pendant et a découvert ça et a trouvé ça cool. Il y a eu connexion et cohérence, c’était parfait. 

Par rapport aux événements que vous faites comme les tributes, est-ce que vous en avez d’autres en stock ? 

A : Les tributes viennent du Buzz. Le dimanche, on appelait les potes et c’était le moyen de s’occuper avec des jams. On essaie d’avoir toujours des trucs : faut les trouver, les tenter. On aimerait faire une Electric Feel, une soirée autour de choses un peu plus pop/indé qu’on écoute. Plutôt facile de remplir une soirée 90’s ou certains groupes comme Arcade Fire, LCD Soundsystem, MGMT mais on souhaiterait amener plus de découvertes sur des noms moins évidents. Quand on a organisé des soirées comme celles-là, on nous a demandés les playlists et les noms donc c’est que ça fonctionne. Mais après quand t’es bourré, t’as tendance à vouloir chanter sur des morceaux que tu connais. 

C : On a une soirée Wipe Out spécialisée sixties qui est cool. La Trilogie du Samedi :au début, ça sonne comme une idée à la con mais faut définir ensuite comment tu l’habilles. Et en général pour trouver les idées, le boss nous amène au resto, commande du vin et on finit par en trouver. 😉

Les ambitions à venir, c’est quoi ? J’ai lu qu’il y avait l’idée d’ouvrir ailleurs… 

A : C’est une idée mais ça prend 3 ans tout de même pour construire quelque chose de stable. En parallèle, on aimerait vraiment travailler la soirée du Jeudi avec un concept de Jeudi la Nuit où on pourrait tenir jusqu’à 6 heures. Avec d’autres concepts, trouver la bonne astuce pour y arriver. Peut-être faire une soirée cachée, un karaoké géant avec un groupe, etc… Il y a à chaque fois la recherche d’une identité visuelle, un nom parlant, un public à aller chercher. C’est beau d’avoir une idée de concept musical mais ça nécessite un enrobage derrière pour le communiquer. 

En 3 ans d’existence avec X groupes par soir, vous avez du avoir une pelletée de groupes, non ? 

1040 par an ! 3 par soirs en moyenne et un peu plus le week-end avec des soirées spéciales type Mégateuf. C’est pour ça, on a mis 3 ans à développer et on souhaite tenir plus de 5/6 ans et faire ça sur Paris, c’est un vrai défi.

Vous n’êtes pas sur un délire où vous voulez signer plus de dates payantes ?

A : Oh non, pas du tout. On pourrait même faire un groupe que personne ne connaît, sans album, ni rien sur la base de quelques sons pour se faire kiffer. Mais le concept veut qu’on mette en avant les bons groupes et projets pour s’assurer que les gens viennent.

C : On fait 4 dates payantes par an, comme une date mythique sur un groupe des années 80. Pour nous, ça représente un peu des stars mais on ne veut pas faire Mac DeMarco en concert. 

C’est quoi vos derniers coups de coeurs musicaux ? 

A : Holy Motors, que j’ai cité plus tôt. Je l’ai saigné tout 2018. Le matin, je le découvre via une playlist Spotify et dans la foulée en arrivant ici je reçois le mail pour les programmer. En 3 mails, ça s’est fait !

C : Mon chouchou, c’est Frankie Cosmos.

Q : Th Da Freak. C’est le groupe de l’année ! Je te conseille de l’écouter, c’est trop bien. 

T : Mon album de l’année, c’est du shoegaze belge, Slow Crush. On les joue le 3 juin. Sinon je suis sur une scène post-rock et j’essaie d’aller à beaucoup de festivals de ce style. 

A : On s’est tous retrouvés au Levitation l’an passé pour voir Rendez-vous et là-bas, on les as vu à 2 heures du mat. C’était la première fois qu’on les voyait avec un batteur et c’était une putain de claque. Maintenant, un vrai groupe de post-punk. Ils sont à la Gaïté bientôt avec Quall, qui a joué ici et a perdu son masque qu’il porte sur scène. (rires)

Père Castor, raconte nous une histoire…

J’ai tendance à réclamer des anecdotes en fin d’interviews. Vous m’en avez partagé déjà beaucoup mais j’ai quand même envie d’en savoir plus sur le passage de Nick Oliveri ici l’an passé. Il a été sage par rapport à son passage lillois mais j’étais content d’être remonté sur scène.

T : Oui, des gens sont montés sur scène et il a fait le guignol pendant une heure dans la rue ensuite. Ça s’est bien passé. On avait peur que les gens n’accrochent pas sur son concept acoustique mais il y avait énormément de fans dans le public présent et il en joue beaucoup. C’était la plus grosse soirée de l’année : le concert était archi-blindé et derrière, c’était une soirée année 90 où les gens sont majoritairement restés. Et c’était le 10 Août !

J’ai un grand souvenir avec FEWS dont le concert avait été arrêté 2 minutes à cause de 2 mecs qui se mettaient sur la gueule. 

A : C’est aussi un de mes meilleurs concerts ici. Avec Together Pangea, un groupe de garage australien hyper chiant. Du genre à ne pas prêter son matos, à ne pas vouloir de première partie. On leur ramène à bouffer, ils se prennent en selfie avec le camembert. Quand ils ont joué, c’est parti en pogo comme jamais. A tel point qu’ils ont flippé et ont joué au plus près du mur. Ils nous ont dit que c’était le meilleur concert de la tournée mais on aurait aimé qu’ils soient plus aimables avant. (rires)

T : Amyl & The Sniffers, c’était dingo : elle est montée jusqu’à l’étage. Et puis il y a eu aussi Didier Wampas qui est monté à l’étage avec son micro pour mieux le jeter sur scène. 

C : Un autre truc beau, c’était Golden Dawn Arkestra avec des costumes noirs. Tu avais l’impression que c’était un espèce de Flaming Lips, très psyché. Ils sont 8 sur scène un lundi de juillet. 

Ce sont vos 3 ans, vous avez 3 soirées de prévues. C’est quoi le programme ? 

C : Premier soir, c’est garage avec Go!Zilla, SIZ qui est le side-project de Th Da Freak et Deaf Parade. Le vendredi, on a Dead Horse One, San Carol et les copains de Venice Bliss. Il y aura ensuite Lust for Youth, habitué à des plus grosses salles comme la Maroquinerie. C’est très dansant, ça va être cool. Et le samedi, il y a Tempers plutôt synth-pop à Carl Barat en DJ set sur la partie Club. Ça nous permet de présenter toutes les ambiances musicales du Supersonic en un week-end. 

Vous n’avez pas trop d’emmerdements avec le bruit ? 

C’est pour ça que nous avons un fumoir. Tu as le sas à l’entrée, la sécu fait attention à l’entrée. On aimerait  pouvoir sortir fumer dehors mais ce n’est pas possible.

Quel est le ratio en groupes français et étrangers ? 

Très bonne question. Je veux avoir un groupe étranger par soir. Avoir des groupes qui jouent rarement à Paris, trouver des petites pépites à faire découvrir. Il doit y avoir un bon tiers d’étrangers au total. 

Dernière question : quand vous n’êtes pas au Supersonic, vous êtes où ?

A : Au Supersonic ! Ou au bureau. (rires)

C : Dans des petits bars de mon quartier mais aussi à l’Olympic, à la Station, au Point Ephémère, au Petit Bain, la Mécanique Ondulatoire.

A : De toute façon, on sort au bande. C’est un petit milieu à Paris donc on se reconnaît vite. Entre agents, tourneurs, tu mets vite un visage sur un mail. Et puis après, on se revoit ici. Lorsqu’il y a une salle payante, c’est plus compliqué de trouver des habitudes. On a le côté bar qui nous aide pour ça. Sinon pour boire des coups, c’est La Méca, Le Motel et le Redhouse tenu par un américain qui a les meilleurs cocktails de Paris avec un son rock. A Bastille, on est bien servis en termes de rock. 

T : Après, on est souvent là. On commence ici ou on finit là. (rires)

Merci pour la dispo, merci pour le lieu et un grand merci pour la sympathie à toute l’équipe du Supersonic. Longue vie à eux et on invite très clairement à y aller si vous ne connaissez pas encore ce haut lieu de découverte(s) et de débauche(s) où l’on passe d’excellents moments.