Blur – The Magic Whip

Attention au scoop: il paraît que la qualité de vie n’est pas terrible en Corée du Nord. Que les rues de sa capitale ne respirent pas le bonheur. Alors d’une, les sondages de Kim Jong-un disent tout le contraire. De deux, difficile de garder son sérieux devant cette nouvelle albarnerie. Blur ou l’art du baratin. Vous connaissez l’histoire: ‘The Magic Whip‘ a été conçu à Hong Kong lors d’une session improvisée de 5 jours, telle une larve créative vite pondue puis oubliée mais abracadabra métamorphosée deux ans plus tard en album de la renaissance produit par Stephen Street. Et comme il semble impossible de chroniquer un disque de Damon Albarn sans lâcher le mot ‘iPad’, hé bien sachez-le: Damon Albarn est revenu incognito en Asie pour peaufiner des idées sur son iPad. Toujours les mêmes en fait: cette ordure de monde moderne et nos vies de parking public donnent envie d’une grande évasion loin des robots de tous les jours et des plages en plastique. Changement de décor: ni rues de Londres ni morne quotidien anglais, ni univers fictif, ni horizons africains, les inhumaines mégapoles asiatiques servent à présent de toile de fond. Le coup de la carte postale, encore et encore, avec des kling-klong made in Taiwan, des sonneries Casio et du blip blip de vieille console Nintendo. C’est une fois de plus péteux, réducteur, condescendant, très colon british donneur de leçons dans l’esprit. On y revient.

Parlons de Graham Coxon, le mec qui n’en veut même après s’être défoulé sur ses huit albums solo. D’abord parce que c’est lui qui a voulu ce huitième album (de Blur hein), défiant l’apathie du groupe après des années de « bof, pas le temps », de tentatives infructueuses, de démentis et autres cachotteries. Ensuite parce que ‘The Magic Whip‘ déçoit malgré le boulot monstrueux du guitariste. C’est bien simple, on n’entend que lui. Puisqu’il a été privé de ‘Think Tank‘ ceci est son disque, son remue-méninges à lui, son sudoku à résoudre tout seul. Le type en plein brainstorming à la limite de la surchauffe mais heu-reux d’avoir enfin les clés du studio et qui se démène donc comme un diable en sortant un riff catchy par-ci, un hommage à Syd Barrett par là (ça fait toujours chic), des overdubs sur chaque temps mort – et il y en a – avec inévitablement des tonnes d’esbroufe, quitte à s’inventer une partie vocale à l’arrache pour sauver le boudin ambiant-électro ‘Thought I Was A Spaceman‘ (peine perdue). Comment faire sonner Blur comme un groupe qui a envie? Comment transformer 12 titres médiocres, la plupart dépourvus de structure, de fond, d’envergure, en oeuvre cohérente? Pari presque réussi: les 10 000 ornements à la minute font à peu près illusion. Mais pas longtemps. Les coutures craquent, les écoutes attentives ne pardonnent pas. Blur a bien joué son coup en dissimulant cet album. On est rarement déçu quand on n’attend rien.

Sauf qu’il faut poireauter une demi-heure pour entendre un refrain: celui de ‘My Terracotta Heart‘, sans être d’un autre monde, arrive comme une bouée de sauvetage dans un océan de jams fourre-tout, de compos anémiques enguirlandées, de cabotinage et d’effets de style. Presque d’entrée, la crotte ‘New World Towers‘ se décompose sur 4 minutes, même pas à la hauteur du pire titre d »Everyday Robots‘. Triste chanson, et un peu laide aussi la pauvre. Dans la même ligne thématique, ‘There Are Too Many Of Us‘ tente l’impossible – la symphonie épique sans mélodie – pontifiante au possible, mal chantée, imbaisable malgré ses arrangements solennels et ses textures synthétiques à la MGMT. Le Beck déjà usé de ‘Modern Guilt‘ glaçait le sang lorsqu’il chantait ‘you and me watching a sea full of people / try not to drown‘ sur ‘Chemtrails‘. Damon Albarn radote et emmerde, à des années lumière de son meilleur niveau en tant que parolier, totalement à la ramasse côté songwriting. Imaginez un peu cette andouille débarquant d’un vol en business class pour prendre des photos et des notes avec son iPad. Ouh ça c’est moche, se dit-il. ‘Pyongyang, I’m leaving‘.

La vitrine art-rock est dressée. Le fan de Radiohead sera content. Ne reste plus qu’à bouffer à tous les râteliers. Vous aimez les moments pop-rock qui dépotent de ‘Modern Life Is Rubbish‘, ‘Parklife‘ et ‘The Great Escape‘? Hop, ‘Lonesome Street‘ au début, ‘I Broadcast‘ au milieu, ‘Ong Ong‘ sur la fin. Vous voulez une nouvelle ‘Song 2‘? Essayez ‘Go Out‘, son chant rigolo et ses guitares grunge. Et ainsi de suite, mais toujours au rabais. Pire encore, on dissocie de moins en moins le groupe des divers projets de son leader. Un peu de The Good, The Bad And The Queen, une pincée de Gorillaz. Après King Kong, Hong Kong. Soyons opportunistes à notre tour: plus qu’un album, ‘The Magic Whip‘ est une app. Un truc sur lequel on clique compulsivement pour passer le temps ou satisfaire un besoin passager. Dans ce cas: reprendre une dose de Blur vite fait sans avoir à ressortir les vieux trucs. Et sans devoir trier pour une fois, puisque ce grand groupe à singles n’a même pas fait l’effort d’en écrire un seul qui vaille le coup.