INTERVIEW – PALE BLUE EYES

Quelques semaines après la sortie de leur deuxième album en deux ans, Pale Blue Eyes vient défendre This House à l’International à Paris. Nous nous sommes entretenus avec le trio au complet composé de Lucy à la batterie, Aubrey à la basse et Matthew en charge de la guitare et du chant. Une interview qui a débuté en français dans le texte puisque Lucy a passé une partie de sa vie en Bretagne et dans le Nord de la France.

C’est une tournée assez copieuse qui vous attend entre la France, les Pays-Bas et le Royaume Uni. Comment vous vous sentez ?

On a fait Cardiff, Bordeaux, Rennes, Angers, tout s’est bien passé. De très belles salles et une ambiance très fun. On est sur la route pendant un petit bout de temps donc il va falloir qu’on fasse attention à nous. On n’est pas très bons à ça d’habitude. (rires)

L’an passé, vous étiez au Supersonic pour votre première date en France. Deux albums sortis en un an, vous ne chômez pas !

Il y avait beaucoup de choses à écrire sur cette période, on a surfé sur le moment parce qu’on se sentait assez à l’aise pour le faire et que tout ça nous a paru naturel. Avec le confinement, on a eu l’opportunité de rester ensemble et de ne rien faire d’autre que composer. On était basés chez nous à Totnes dans le sud de l’Angleterre à ce moment-là. Ecrire et répéter étaient nos deux activités principales. On a profité de la fin 2022 pour enregistrer au studio.

J’ai lu que pour arriver à faire ça, vous avez bossé dur et que vous avez fait le choix de mettre la musique au premier plan de vos autres dépenses. En privilégiant le DIY d’ailleurs, en faisant un max vous même plutôt que de passer par un studio.

J’ai l’impression qu’on a fait ça toute notre vie d’adultes : privilégier l’achat d’instruments et de l’équipement pour le studio afin d’être indépendant. C’est vraiment super d’avoir la possibilité de répéter et d’enregistrer dans la même foulée quand une idée te vient. On voulait se donner l’opportunité de mettre ça en place. En plus, nous tournons régulièrement et on n’écrit pas pendant ces périodes là donc il est important pour nous de bien mettre à profit ces temps off.

On a eu et on a toujours des boulots donc c’est pratique si Matt fait un travail de jour et que Lucy fait un travail de nuit de pouvoir se compléter en prenant le temps d’écouter ce que l’autre a fait. Ensuite, Aubrey reçoit le tout et c’est un peu comme ça qu’on fonctionne. Ca permet à tout le monde d’avoir un avis sur les morceaux et de collaborer plutôt que de rusher en studio parce que le temps, c’est de l’argent. Pour autant, on essaie d’aller assez vite et de ne pas trop passer de temps sur une idée qui ne nous plaît pas unanimement ou sur laquelle on n’arrive pas à tomber d’accord. Sur la parenté du morceau, on ne se prend pas la tête tant que nous sommes tous contents avec le résultat final.

 

Ca peut sonner stupide en le disant mais on sent que le disque est porté par la vie et les humeurs qui vont avec. Apprécier les choses comme elles viennent. Tantôt légères, mélancoliques ou plus lourdes en fonction de ce qui arrive, profiter des bons moments, des souvenirs qui nous viennent, pratiquer le lâcher prise… Qu’est-ce que vous en pensez ?

C’est exactement ça. L’idée est de célébrer la vie avec tout ce qu’elle comporte : les hauts, les bas et tout ce qui peut bien nous arriver. On a écrit ce disque collectivement et il s’est passé des événements difficiles dans nos vies récemment. Mais il y a eu aussi bien sûr beaucoup d’euphories sur la route et en jouant énormément de concerts.

‘Il y a eu du mouvement mais ce que j’apprécie dans la musique, c’est que tu peux ressentir l’énergie du moment et cela t’oblige à réagir. Via la musique, tu ne dois pas trop réfléchir. Il y a beaucoup de thématiques, de sentiments mais au sein d’une chanson, cela condense tout ça.’

Etre capable d’apprécier tout ça via nos morceaux nous permet aussi de le gérer, sans trop y penser sans avancer. C’est comme un échappatoire. Nos chansons peuvent parler aux gens car elles partent de sentiments et situations universelles et nous ont permis de nous réconforter.

This House est porté par le décès d’un de tes parents Matt. J’ai réécouté les deux disques consécutivement pour cet interview et on ne peut pas dire que l’un soit plus lourd que l’autre. L’idée était en sortir quelque chose de beau ?

Dans des moments tristes comme ceux-là, tu peux y trouver du positif. Suite au décès de ma mère, j’ai pu vivre de très beaux moments d’amitié et en famille aussi. Remplis d’espoir et de joie. C’était de vrais rassemblements et d’ailleurs nos familles nous ont encouragé à produire de la musique puisqu’ils ont vus ça comme un vecteur créatif d’amour et synonyme d’un élan de soutien. On doit beaucoup à nos familles.

Cette photo de famille en pochette de l’album, c’est quelque chose qui trônait quelque part dans le salon de la maison ?

On était en panique à deux semaines de la livraison de l’album, nous avions aucune idée pour la pochette. En même temps, on était dans les cartons en train de remballer notre studio de musique en vue du déménagement pour Sheffield. Pendant que je faisais également les cartons de la maison familiale, la photo est tombé d’un livre. Je me suis dit que je ne pourrais rien trouver de mieux. C’était comme si on l’avait fait exprès. Ca nous est tombé dessus, le moment en lui-même était presque cinématographique.

Ca en est devenu presque comique à la fin parce qu’on avait vraiment passé du temps à chercher quelque chose pour la pochette. Quand on pense que tout ce travail a été foutu à la poubelle avec une simple photo, quelle perte de temps… (rires)

 

Elle suit parfaitement avec les thématiques de l’album et la musique.

Ces deux albums concentrent aussi notre temps à Devon avant notre départ pour Sheffield. Aubrey est lui parti à Londres. Alors que les 2 disques ont été intégralement composés en confinement à vivre à 4.

Il y a un nouveau morceau, Reasons, tout juste disponible aujourd’hui. A quelle période a-t-elle été composé ?

Pendant les mois d’hiver dans notre ancien studio. On travaillait sur ses pistes la nuit car il n’y avait rien à faire d’autre. A un moment, on l’avait mise de côté puis on l’a reprise et on a fini par l’enregistrer et la mixer. Lentement. C’était à la même période que les titres présents sur le disque. Je suis content de l’avoir finalisé parce que nous avons pu y incorporer un piano qui appartenait à mon père et qu’on a galéré à mettre dans le studio. Et aucun autre morceau que l’on a enregistré contient ce piano. Comme nous l’avons donné à un ami, ce ne sera pas de sitôt qu’on l’entendra à nouveau.

En parlant de morceaux, je me souviens que sur l’album précédent vous aviez le morceau Dr Pong qui faisait référence à un passage arrosé à Berlin et au nom d’un bar là-bas où vous avez pu tâté la balle blanche. Est-ce qu’il y a un titre avec une histoire de la sorte sur This House ?

Il y a beaucoup de ces morceaux qui ont à voir avec nos concerts et les anecdotes qu’il peut y avoir avant ou après. Notamment une date à Glasgow où on a pu faire une after ou des concerts en festivals. Mais je dirais que l’ensemble est plus un montage qu’une anecdote en particulier.

La formation du trio a été assez atypique avec l’arrivée d’Aubrey après une session photo, c’est bien ça ?

Nous n’étions pas vraiment un groupe à cette époque. Aubrey était un ami à nous et on a eu accès à un super studio. On lui a demandé de venir avec nous pour jeter un oeil et faire des photos par la même occasion. Le groupe est arrivé après cette session.

Aubrey : J’ai commencé à prendre des photos en tant qu’ado et j’ai essayé d’en faire un job. Par contre, j’ai démarré à apprendre à jouer d’un instrument lorsque j’ai quitté la maison de mes parents vers 18 ans. Matt et Lucy voulaient enregistrer de la musique dans ce studio. Je les ai accompagné et j’ai vu cette basse. La veille, on avait fait la fête à Londres mais j’étais déjà sur place lorsqu’ils m’ont appris qu’ils auraient quelques heures de retard. J’ai donc bidouillé pendant 2h, puis ils ont eu encore quelques heures de retard. Quand ils sont arrivés, Matt s’est dit que si je savais jouer de la basse autant que je les rejoigne ! Je n’ai pas dit non ! Je ne sais pas écrire ou lire de la musique mais je sais suivre. Sur cette session, on a pu faire 5 ou 6 morceaux spontanément. Finalement, le message qu’on pourrait faire passer aux autres groupes qui lisent ça c’est : ne vous inquiétez pas ! (rires)

On n’avait pas de plan. D’ailleurs, on est incapables de te dire où sont passés les morceaux produits ce jour-là puisqu’aucune n’est présente sur l’un des deux disques. On n’avait pas de nom de groupe en tête mais ça nous a permis de faire le pont entre des projets passés et le début de ce groupe. C’était il y a 5/6 ans. On en a peut-être joué certaines en live au tout début mais ce n’est pas même sûr.

Aubrey a été très pro-actif : il a toujours été dispo et très motivé pour sauter dans un train et venir nous voir pour jouer. La contre-partie, c’est qu’on en a profité aussi à l’époque pour se retrouver à Bristol, sortir beaucoup et finir une partie de nos soirées à dormir sur un futon. Ce pauvre matelas en a vu passé d’ailleurs, il a fini par quasiment se désintégrer. (rires)

 

Vous avez créé votre propre label avec Broadcast Recordings. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus sur vos intentions avec cette structure ? C’était pour vous distribuer mais aussi potentiellement pour aider d’autres artistes ?

Pour nous dans un premier temps. Ce serait génial si dans le futur nous pouvions en faire bénéficier d’autres artistes puisque nous avons un studio. Aujourd’hui, on travaille avec notre label Full Time Hobby donc ce n’est pas pour tout de suite. Peut-être un jour.

C’est notre manager qui a eu l’idée d’ouvrir Broadcast Recordings et c’était une très bonne idée car on était entourés d’autres business locaux très DIY dans l’esprit qui nous ont aidé à financer les sorties physiques de nos disques. On ne s’attendait pas à un tel soutien et c’est arrivé pendant le confinement donc d’autant plus inattendu.

Vous venez du sud ouest de l’Angleterre, contrairement à une grande partie de la scène musicale actuelle qui vient de Londres et ses alentours. Mais là, vous avez déménagé à Sheffield. C’est assez récent mais comment vous vivez ce changement de décor ?

C’est clairement un changement de style de vie. C’est agréable parce que nous étions à Devon depuis un moment : l’énergie est assez différente et ça fait bien d’avoir de nouvelles choses à découvrir. Déménager a été assez fluide et l’offre culturelle paraît très dynamique et abordable. On n’a pas eu encore trop l’occasion de s’y poser parce qu’on a du partir en tournée 4 jours après notre arrivée mais c’est très prometteur. Même si on n’y est pas si souvent, c’est important d’avoir une maison mère. Pareil pour Aubrey qui vit à Londres mais qui n’y est pas tant que ça.

Aubrey : Ce qui est assez dingue à Londres, c’est que l’offre de concerts est tellement phénoménal que tu ne sais plus où donner de la tête. Parfois, tu as envie de vivre comme un moine et de ne rien faire ou à l’inverse, tu veux être partout à la fois et ça peut être assez frustrant. Pour éviter d’être à court d’argent, je suis un peu entre les deux… (rires)

Tant qu’on parle du Royaume-Uni, vous avez évoqué quelques noms de groupes au fil de la discussion comme Ducks Limited. Comment vous sentez-vous dans ce milieu ?

C’est génial de faire partie d’une communauté aussi vivace. C’est une grande décision de s’engager dans ce train de vie où tu n’es quasiment jamais chez toi et toujours sur la route. Alors quand tu rencontres quelqu’un qui a décidé de faire la même chose, tu te rapproches plus facilement puisque la personne traverse la même expérience.

‘On est aussi à un âge où on a envie de s’entraider. Plus jeune et plus naïf, tu peux peut-être être plus dans la compétition. Au Royaume-Uni plus que jamais, il faut être dans le soutien au sein de cette scène car nous sommes nombreux à vouloir faire des choses mais le gouvernement n’est pas au rendez-vous. A aucun niveau.’

Des personnes créatives et brillantes essaient de produire des choses et parfois soit elles arrêtent, soit elles le font avec des moyens ridicules car elles manquent de financement. Pour autant, on se rend compte au quotidien à quel point les groupes de musique font partie d’un petit monde. Tu croises telle personne qui est dans deux groupes différents et qui filent un coup de main à un autre groupe en conduisant le van ou alors en s’occupant des guitares.

On a aussi tourné avec Sea Power, Public Service Broadcasting et Slowdive qui sont des légendes évidemment et des personnes extraordinaires. Cela nous encourage d’avoir des personnes aussi positives autour de nous, des exemples. Cette communauté et le soutien qui va avec est vraiment incroyable. C’est juste que le support financier n’est pas ce qu’il devrait être. Quand on compare à la France, le fossé est immense. Vous avez des salles très bien entretenues avec une technologie à la pointe en termes de matériel à un point où c’est incompréhensible pour nous. En Angleterre, les gens en charge des salles ont beau essayer de faire leur possible, ils n’ont juste pas les mêmes armes.

Merci le réseau des SMACs et merci la gastronomie française.

‘Rien qu’avoir de la nourriture chaude ici, c’est tellement cool !
Chez nous, on a déjà pensé à faire un t-shirt « De la bouffe chaude au lieu des bières chaudes ! »‘

Quelle est la dernière chose qui vous ait fait rire ?

Lucy : Tout ce qui sort de la bouche de ces deux-là, ils disent de la merde toute la journée. (pointant Matt & Aubrey.)

Matt : Aubrey a sorti une super blague à 6h du mat’ ce matin alors qu’on venait de se réveiller. Mais ce qui nous fait marrer en ce moment, c’est la pilosité faciale des joueurs de foot. C’est la mode d’avoir un espèce de bouc très court sur le menton. Peut-être que ça pousse plus vite à cet endroit chez les footballeurs mais je n’en croise nulle part dans la rue. (rires)

Toujours aussi sympathiques et mélodiques, les Pale Blue Eyes méritent d’être connus et pourront attirer bien que plus que la simple curiosité des amoureux des Cure et de New Order. Un grand merci à l’équipe de Boogie Drugstore.