Crédits photos : Valentin Duciel

INTERVIEW – SHOEFITI

Shoefiti a sorti CityT error en février dernier et nous sommes allés rendre visite à Henri, chanteur et guitariste du groupe dans leur studio pour en savoir plus sur le groupe, son histoire et ses projets à venir.

Comment s’est passé votre Release party le 24 Juin avec Clavicule à la Boule Noire ?

Super, la salle était complète. On est partis assez loin, on n’a eu que des retours dithyrambiques et on a pris beaucoup de plaisir. Ça faisait 3 semaines que j’avais une toux récalcitrante et je me posais la question de savoir jusqu’où je pouvais aller au chant. Mais voir le public m’a fait juste focaliser sur le fait de kiffer et ça a été à la hauteur de ce qu’on espérait.

Par la suite, on devrait avoir des dates en Espagne en novembre et on en profitera normalement pour tourner en France avant ou après. Au moment du COVID, on devait faire une nouvelle résidence à Portland et enchaîner sur un cycle de dates mais tout ça n’est pas revenu depuis. Sans booker, ça nous prend énormément de temps d’organiser des dates. C’est pour ça que dans les remerciements de la date, j’invite les bookers et tourneurs à me contacter en direct s’iels sont intéressés.

Crédits photos : Alex Deleau

Peux-tu nous en dire plus sur l’évolution du groupe et ce qui a amené à CityT error sorti cette année ?

l y a en réalité quatre albums mais pour des histoires de fin d’abonnement à un agrégateur : les deux premiers sont momentanément absents des plateformes de streaming mais ils sont disponibles sur Bandcamp. On avait une période habituelle de 2 ou 3 ans entre chaque album mais pour CityT error, il est sorti deux ans après avoir été enregistré. Pour éviter qu’on ne puisse pas le défendre sur scène ou qu’il passe inaperçu.

La différence de son vient de la configuration du groupe. Sur le premier album, le projet est né en marge d’autres groupes dans lesquels je jouais. J’avais des chansons, j’appelais des potes qui venaient jouer : on gagnait en fraîcheur ce qu’on perdait en maturité. On ne répétait pas les morceaux mille fois, ça fonctionnait en one shot et puis c’était cool. Le son était assez sophistiqué et alambiqué. Six mois après la sortie de l’album, c’est devenu un groupe parce que mes autres projets se sont arrêtés. Par contre, on ne pouvait pas avoir une orchestration aussi riche. Ce qui n’était pas plus mal parce que ça a donné quelque chose de plus brut. Une esthétique que j’apprécie et qu’on a gardé pour les deux albums suivants. Le second était plus explosif et psyché et on le ressent également sur la pochette. Tandis que le troisième est plus froid, il a été enregistré en live au mois de janvier. Interrompu par une tempête qui nous a coupé l’électricité d’ailleurs.

Au moment de faire CityT error, Raphaël notre guitariste historique est parti. Je ne voulais plus former des gens pour jouer les morceaux donc on s’est adapté à cette nouvelle configuration. Dans le passé, j’avais déjà joué en alternance la guitare ou la basse en plus du chant, le tout accompagné d’un batteur.

Charles (à la basse jusqu’ici) est un excellent guitariste et Lucas était déjà à la batterie. Avec cette base-là, ça nous permettait d’avancer et on ajoutait ce qu’il fallait en cas de besoin d’un instrument supplémentaire comme un mellotron par exemple. L’album a donc cette approche là avec un ADN à la fois électrique et acoustique. Deux styles qu’on sait aussi faire en live : intense et sauvage d’un côté, intimiste et sensible de l’autre. On a pu développer ça lors de nos précédentes résidences à Portland.

Crédits photos : Alex Deleau

D’ailleurs en parlant de votre style, les morceaux changent souvent d’orientation. Punk rock, balade pop, morceaux plus groovy. Comment faites-vous pour trier dans toutes vos envies ?

On n’y réfléchit pas trop, il n’y a rien qui est planifié. On s’est vraiment retrouvé après des mois et des mois sans se voir, ni pouvoir jouer de la musique ensemble donc on s’est éclatés. Le morceau ‘So Simple’, que j’aime beaucoup est très folk avec des accords très riches, a démarré par des paroles provisoires qui sont en fait devenues les paroles finales. On a appliqué une méthodologie similaire au titre de la chanson pour l’écriture : garder une approche simple. Pour ‘sLOGANS’, c’est plutôt le côté humoristique qui démarre la création du morceau. J’ai l’impression qu’on n’a plus rien à prouver puisque ça fait longtemps qu’on joue donc là, j’ai vraiment juste envie de faire des concerts et d’enregistrer les chansons qui me plaisent.

A l’écoute, on sent ce décalage entre le son « rentre dedans » et le second degré des paroles. En lisant l’interview que tu as faite pour la face b, j’ai lu que tu aimais bien décortiquer comment était fait les albums que tu aimes. Comment fais-tu évoluer ta connaissance sur le côté technique ? Beaucoup de potassage et de tutos ?

Je suis ingénieur son et réalisateur de disques. Au début, je ressentais que j’avais quelque chose à prouver. Ce qui était très éprouvant car dans Shoefiti, je me retrouvais à enregistrer, mixer et produire. Ce qui créait des clashs en moi entre le musicien et le mixeur. Au mixage, je me posais les mauvaises questions et, par conséquent, je ne trouvais que de mauvaises réponses. Je me suis aidé ensuite de potes et le troisième, j’ai donné le bébé à François Clos. En parallèle, j’ai travaillé avec d’autres groupes et je me suis senti plus à l’aise et j’ai réussi plus facilement à avoir le son que je voulais. Ce qui m’a amené à faire CityT error en disant au groupe que chacun pouvait faire ce qu’il voulait, tant que c’était pour le bien de la chanson. Qu’importe qui fait la guitare ou à la basse par exemple. On ne voulait pas d’égo déplacé et que chacun s’implique dans le processus de production et de recherche de sons. Avec le plaisir de se retrouver et d’explorer, ça l’a fait.

Dans les versions lives, on se permet aussi plus de liberté avec des passages « bacs à sables » où t’as un instrument qui tient la barraque et les autres peuvent essayer des choses. On se fait confiance, on joue ensemble depuis longtemps donc on avance et parfois, on se fait des points pour voir ce qu’on veut vraiment faire quand il y a un blocage.

Côté paroles, quelles sont tes inspirations ?

Le point de départ, c’était de ne pas faire de chansons d’amour ! Je voulais éviter ce cliché surtout quand on joue déjà sur des accords que tout le monde a déjà utilisé un million de fois. Ensuite, je fais lire à mes potes anglophones les paroles pour éviter qu’ils soient gênés. Sur les thèmes, jusque-là c’était très réfléchi. Sur le dernier, ça aurait pu être mieux écrit ou différemment mais le lâcher prise m’a permis d’avancer. Sur l’album précédent, il y avait des thèmes féministes. Pas par opportunisme mais plus par reflet de ce que je suis depuis des années via des activistes féministes et de la déconstruction à laquelle je m’intéresse au quotidien. Mais je ne voulais pas le mettre en avant. Tout comme je ne voulais pas qu’American Girld’ soit utilisé comme argument marketing. Je veux juste que les gens qui s’intéressent aux paroles s’intéressent au sujet et viennent potentiellement nous en parler. Tout comme un autre groupe pourrait évoquer le végétarisme ou le véganisme.

Mais je n’ai pas envie de le faire de manière consensuelle. C’est le genre de sujet qui mérite de sensibiliser différemment, quitte à être grinçant pour générer du débat. Sinon, en n’abordant pas le sujet, on risque que les extrêmes amènent le débat et puissent l’orienter – comme on peut le constater sur les sujets abordés à chaque élection. On ne doit pas dire n’importe quoi mais il ne faut pas être bloquer par la peur de gêner ou d’être jugé.

Par exemple, avec ‘American Girld’, je me suis posé beaucoup de questions jusqu’au dernier jour de mastering. J’aurais pu changer quelques mots pour que cela change le sens de la chanson mais cela ne la rendait pas plus intéressante. On a écrit un texte explicatif qui est dans l’album, le clip a lui aussi un disclaimer pour éviter les incompréhensions et la pochette d’Ekaterina Rusnak pour le single va dans ce sens aussi.

 

Sur ‘Rust’, c’est une question d’acceptation de soi. Profite de qui t’es, tout ce qu’on dit sur toi finira par s’émousser comme une lame rouillée. ‘sLOGANS’, c’est évident : à force d’être assailli de pubs, il y a cet abrutissement par la punchline pré-conçue. Le côté sexy et insidieux de la pub, on a essayé de l’avoir dans le son du morceau.

‘Technicolor Dreams’, c’est un délire psyché. ‘CityT Error’, c’est l’enfer urbain. ‘Clumsy’ est une chanson que j’ai depuis longtemps dont j’ai gardé la naïveté. Sur ‘Chocolat Médaille’, j’ai piqué le « My Life is a joke but this is fun » à TH DA FREAK. Je me suis fait la réflexion en les voyant en concert et j’ai demandé l’autorisation à Thoineau. (rires)

Comment s’est faite la connexion avec Corrina Repp ? Je me souviens très bien de son groupe Tu Fawning avec Joe Haege ou encore de son album solo.

Il y a eu trois voyages à Portland. Le premier a duré deux mois avec un passage par New-York et Los Angeles parce que l’idée c’était un peu de s’extraire de la vie artistique française et d’aller voir ailleurs. J’en a profité pour faire plein de concerts, en solo, en acoustique ou en open mic. J’ai rencontré le maire officieux de la ville, Matt Brown, qui connaît tout le monde et qui est resté un ami, que l’on a consulté encore pour les morceaux du dernier album.

En partant à Los Angeles, il nous a fait rencontrer Corinna Repp que j’avais déjà vu lors d’un passage à Paris. Après une super soirée avec elle, la connexion s’est faite. On s’hébergeait respectivement, on est allés au Yosemite ensemble. Pour CityT error, j’ai voulu faire participer ces copains-là. Corinna a donc chanté sur ‘So Simple’ et dès que j’ai un problème avec mes paroles, je lui envoie pour avoir son avis sur le thème. Sur ‘American Girld’ par exemple, comme elle est à LA et qu’elle est entourée de pubs qui mettent en avant les promos autour de la chirurgie esthétique, elle voyait totalement où je voulais en venir.

Quelle est l’actu du groupe aujourd’hui ?

La reproduction live de l’album nous a donné pas mal de fils à retordre pour certaines chansons : ‘Undertaker’ a nécessité de la magie en studio qui est difficile à reproduire live. Mais avec le retour au format quatuor avec l’arrivée de Nicklaus, ça nous libère pas mal et permet de développer des arrangements plus riches.

Ensuite, on a des sessions live, les clips et on fait notre max pour booker des concerts. Dans certaines de nos jams, on pense qu’il y a matière pour de nouveaux morceaux. A l’été 2024, on va se bloquer du temps dans le nouveau lieu que je suis en train de construire en Normandie… Généralement, quand on enregistre, on mélange deux phases de création : des chansons que l’on nourrit pendant des mois et d’autres qui se font en quelques heures au moment du studio. L’idée et de garder une approche ludique pour ne pas se lasser.

Crédits photos : Valentin Duciel

La scène française de musique à guitares est très dynamique ces dernières années et connaît une variété assez impressionnante. Comment te sens-tu au sein de ce vivier ?

Pendant trois ans à Portland, avec mon ami Thomas Rames d’Amazons On Ponies, on animait une émission de radio qui s’appelait The Frenchies avec pour principe de valoriser ce qui faisait au sein de la scène indé française que je trouve passionnante. On peut chercher des similitudes et dire que la scène rennaise se rapproche de celle de Portland et celle de Bordeaux ressemble à celle de San Francisco. Ça aide les américains d’avoir des sortes de repères… Par contre, en France, il n’y a pas encore une culture de la production très ancrée et on a du mal à savoir qui fait quoi : la production, le mix, l’enregistrement.

A Rouen, il se passe quelque chose aussi avec We Hate You Please Die, MNNQS ou You Said Strange. Pour la camaraderie, cela se ressent particulièrement au sein des scènes post, garage ou métal. Il y a aussi une présence croissante d’artistes féminines et ça fait beaucoup de bien.

Plus personnellement, on connaît très bien The Psychotic Monks et Steve Amber. La scène de Bordeaux avec TH DA FREAK, Opinion, SIZ et Pretty Inside est très fun. Bien sûr, This Will Destroy Your Ears qui sont des amours à Cap Breton. Ainsi que Rennes avec Mermonte.

Après, je regrette que l’engouement « grand public » ne soit pas à la hauteur du talent de certains. Quand j’écoute le Centaur Desire de J.C. Satàn qui fait un bien fou et qu’ils ne sont pas programmés dans 30 festivals d’été, ça me fout en l’air.

En tant que groupe, c’est quoi le dernier truc qui vous ait fait marrer ?

Il y a de l’humour dans notre musique mais ce n’est pas toujours évident à capter via les paroles. On essaie donc en live d’en jouer et de le mettre en avant. En général, on inclue des fausses reprises avec un gros riff comme ‘Smoke On The Water’ histoire de chauffer le public et de passer ensuite à notre morceau. Là, à la Boule Noire, on a fait la même avec ‘Highway To Hell’ avant ‘American Girld’. Ca amène une interaction, une complicité avec le public, des petits clins d’œil second degré à la perf.

On a aussi tendance à rallonger un de nos morceaux en l’introduisant avec un discours en roue libre que l’on a interrompt via la batterie. Par contre, Lucas ne sait pas ce que je vais raconter et parfois il se fait embarquer et oublie de me couper. La dernière fois, je faisais un faux discours de remerciements à nos parents en faisant croire qu’ils étaient dans la salle alors que ce n’était pas le cas ! Certains se sont pris au jeu et ont cru que les personnes un peu plus âgées qui étaient à La Boule Noire étaient vraiment nos parents. In fine, on s’est fait troller avec notre troll. (rires)

Quatre mois après la sortie de son très bon CityT Error, Shoefiti s’apprête à déménager en Normandie pour installer son studio et sûrement écrire la suite de ses aventures. Avant de les retrouver sur la route, ça te laisse le temps de les découvrir.