Pearl Jam ✖︎ Gigaton

Pour la faire courte, Pearl Jam a du mal à sortir du ventre mou du rock à papa et à digérer l’aventure solo d’Eddie Vedder avec Into The Wild. Quelques singles évidents pour contenter le grand public, de rares pépites pour les fans, des fillers pour tout le monde et un tiers d’Eddie Vedder en solo, à la gratte souvent en fin de disque. Avec 30 ans de boutique l’an prochain, leur carrière est remarquable. Quinze ans à passer de succès commerciaux gigantesques à des expériences inattendues pour enchaîner sur une deuxième partie de carrière plus ronronnante… Après sept ans de silence en studio et la plus longue pause de leur histoire, Gigaton s’annonce comme leur meilleur disque depuis 2006 selon les premiers retours. Vraiment ?

Mi-figue…

L’ouvreuse « Who Ever Said » nous met dans l’ambiance, on est là pour du classic rock conscient avec un sous-texte gouvernemental et environnemental assez subtilement intégré pour ne pas passer pour le révolutionnaire du dimanche, même si le refrain ronronne un peu… Le premier single « Dance of The Clairvoyants » a énervé ceux qui attendaient du rock et pourtant, il s’agit sûrement du passage le plus intéressant de la cinquantaine de minutes du disque. Une interprétation changeante, du groove dans la basse, une batterie électronique, du synthé, des riffs de Matt McCready pour relancer la machine à la moitié sans faire dans le solo pompier : ça faisait un bail qu’on n’avait pas eu l’impression d’un tel travail de groupe pour Pearl Jam où chacun a l’occasion de s’exprimer et de la place pour la nouveauté. Placée tôt dans l’album, elle étonne toujours autant et elle est bien entourée. « Quick Escape » enchaîne, garde le rythme et bordel, on y croit. Il s’agit ici du morceau rock le plus réussi avec un énorme solo de gratte et des futs tapés dans tous les sens. Pour les effrayés de la prise de risque, « Superblood Wolfmoon » est aussi là pour rassurer avec un bon gros single qui tâche où tout est dit en moins de 4 minutes. Pendant six morceaux, tout se passe bien : la prod est limpide, les morceaux se dévoilent crescendo et apportent surprises et bons souvenirs.

Mi-raisin.

Ensuite, on retrouve « Never Destination » et « Take The Long Way« . Du rock entre le The Who en maison de retraites et le filler des familles qu’ils doivent pouvoir écrire en pilote automatique. Problème plus grave, ces deux titres embrayent une deuxième moitié de disque assez léthargique. Il faut attendre la balade transcendantale « Buckle Up » pour sortir de la sieste. Là où « Comes Then Goes » et « Retrograde » ratent le côche, « River Cross » clôt le disque avec élégance et contemplation.

Côté technique, l’album dispose d’un traitement sonore Dolby Atmos jamais utilisé auparavant qui permet d’assurer haute-définition et clarté, sans que le label n’ait apporté plus de détails. Est-ce que ça l’empêche de sonner comme du classic rock à l’ancienne ? Non. Ce n’est pas lié au son mais aux compositions. On se demande si Matt Cameron n’a pas été occupé à autre chose. Doté d’une faculté à emballer la machine avec son jeu aérien, il est souvent cantonné à jouer les utilités en soutenant mollement la boutique. Josh Evans, à la production claire et limpides ici, vient aussi placer quelques notes de claviers, discrètes : ce n’est pas plus mal car les interventions passées de Boom Gaspar étaient assez lourdes. Oscillant entre Foo Fighters, Bruce Springsteen et cette fameuse B.O de film dont on ne reparlera pas, Gigaton tente et intrigue mais ne convainc pas toujours sur la longueur à force de vouloir faire cohabiter toutes ces influences et envies.

Follow The Leader ?

Eddie Vedder ne profite pas de l’époque pour faire un pamphlet in-your-face, comme lors des mandats Bush mais placent au long du disque des lignes sur l’état de la planète, les conséquences de la politique de Trump et sur la fragilité de l’environnement et de la vie en général. Comme d’habitude, son interprétation est impeccable et il essaie en plus de pousser sa voix dans des envolées nouvelles, quitte à déséquilibrer le disque en se tirant la couverture sur les quatre derniers titres où le groupe passe en sourdine pour lui laisser la place…

Depuis quelques années, le groupe ne vit vraiment que par ses concerts toujours aussi incroyables de générosité avec des setlists de 2h30 aux morceaux étirés, modifiés et joués impeccablement  par le groupe. A cela s’ajoute le charisme et la chaleur indéfectible de son frontman. Un interprète exceptionnel qui a su toujours faire le funambule entre le rocker pour les tubes, l’interprète à fleur de peau lors des balades, le soûlard bouteille à la main et l’humaniste jamais à court d’anecdotes et d’interventions personnalisés au pays où il joue le soir même. On croise les doigts pour que la France, limitée à une dernière prestation au Main Square en 2012, ait le droit au Lolapalooza fin juillet si tout va bien…

Est-ce que Gigaton changera quoique ce soit à ce constat ? Nous l’écouterons massivement ? Notre point de vue sur la manière dont fonctionne le groupe depuis 15 ans a changé ? Non, non et non. Même si l’album montre des signes de renouveau dans le son ou la composition, il ne sera là que pour nourrir 3 ou 4 morceaux dans des setlists. Si l’on vire les morceaux creux, on se retrouve en effet avec le meilleur disque du groupe depuis Avocado en 2006. En faisant l’exercice de réécouter leurs 3 derniers albums, l’écart n’est pas si incroyable et seul l’avenir nous dira si il vieillit mieux que ses récents aînés…