Phosphorescent – Muchacho

Avant de creuser un peu plus en détail pour voir ce que ce disque a dans le ventre autant prévenir que Muchacho propose un genre de folk assez roots dans l’esprit qui continue de passionner les américains et laisse souvent les européens de marbre, d’où un probable décalage entre les excellentes critiques d’outre-atlantique et celles moins enthousiastes du vieux continent. Le style d’écriture de Matthew Houck combine ballades à l’ancienne et ragtimes de saloon avec de longs plans-séquences s’ouvrant sur les plaines désertes, comme dans un décor de western des années 50. L’image est à peine exagérée, car pour parachever le tableau le songwriter use et abuse souvent de choeurs champêtres et de falsettos genre cri du loup au fond des bois. A priori, nous voilà mal barrés, mais comme sur le remarqué Here’s To Taking It Easy de 2010 l’approche désuète de Houck est souvent transcendée par des moments de lévitation et de grâce qui font oublier tous les préjugés.

On comprend très vite à l’écoute de Muchacho que l’homme se cachant derrière le pseudo Phosphorescent est passé par certains troubles sentimentaux et des doutes personnels. Sans surprise, quelques recherches sur la genèse du disque indiquent que son titre a été inspiré par une longue virée solitaire en terres mexicaines (d’où quelques effluves mariachi) pour tenter d’oublier une ex, calmer le jeu et les excès, et se recentrer un peu. Notre lonesome cowboy se lance donc dans un disque-cinoche du samedi soir, un peu à la manière de l’émission des années 80 La Dernière Séance avec Eddy Mitchell, et ce dès le premier titre en forme de générique d’ouverture, pas très engageant d’ailleurs, jusqu’aux crédits de fin. En termes de scénario et d’ambiance, on est cependant beaucoup plus proche du western existentiel post-indiens et bandits Paris Texas de Wim Wenders que d’un préhistorique Rio Bravo avec John Wayne.

Les délicats arrangements électro du single Song For Zula constituent la première bonne surprise du disque, soutenant une très belle narrative que n’aurait pas renié Bruce Springsteen entre de légères percussions synthétiques et une élégante texture mélodique à base de pedal-steel et de cordes aériennes. Juste derrière, Ride On / Right On émancipe cette approche vers un country-rock bâtard mélangé à un groove presque disco. Ça ne devrait pas fonctionner, mais la production de John Agnello (déjà responsable du Smoke Ring For My Halo de Kurt Vile il y a deux ans) est encore une fois parfaitement mesurée. Le disque se fait ensuite plus traditionnellement folk ou folk-rock et un peu longuet par endroits, surtout aux premières écoutes, mais jamais uniforme comme peuvent souvent l’être des disques de troubadours scotchés à leur guitare acoustique. C’est d’ailleurs très certainement l’une des plus intéressantes productions de ce début d’année, mise au service d’un songwriting un peu complaisant ici et là mais solide dans l’ensemble.

De nombreux passages comme les envolées cuivrées de A Charm / A Blade et la voix en général assez nasillarde de Houck renvoient au Bob Dylan de la fin des années 70, référence la plus évidente tout au long de Muchacho jusque dans la manière de privilégier les textes et le lyrisme sans s’astreindre à un formatage pop. Voilà qui colle bien avec la sensation initiale de se plonger dans un film, dont le moment le plus prenant reste la montée vers le final de l’épique The Quotidian Beasts et sa jouissive cascade de notes de piano. On peut regretter que le disque n’atteigne pas plus souvent une telle intensité, mais le tout est concluant. Ce Muchacho est un digne compagnon pour une nuit solitaire passée à méditer avec la télé allumée et à vider distraitement quelques fonds de bouteille, comme un road-movie qu’on mate du coin de l’oeil. Le scénario? Pas extraordinaire, mais la photo est belle et l’acteur principal est convaincant dans son rôle d’antihéros un peu paumé. Un disque attachant et plutôt cool.