Sleater-Kinney – No Cities To Love

Le retour triomphal de Sleater-Kinney a de quoi surprendre. Dissolu plutôt discrètement en 2006, le trio n’avait pas laissé un trou béant dans le panorama alternatif, ni suscité d’anxiété toolienne par la suite dans l’attente d’un éventuel retour. Personne ces dix dernières années n’a réclamé cette réunion à grands cris ou spéculé sur les moindres faits et gestes des américaines, qui du reste ont bien caché leur jeu. C’est libre de toute pression qu’elles ont planché secrètement sur ‘No Cities To Love‘ depuis 2013, décidées à revenir avec de nouvelles chansons ou ne pas revenir du tout. Pas d’apparitions live ou de teasing pour tâter le terrain, une promo lancée tranquillement en novembre et, au final, la sortie d’un excellent album qui respire l’envie et le plaisir des retrouvailles.

« On vous l’avait bien dit » semble être le mot d’ordre d’une critique effusive et unanime. Tout le monde est fan depuis 1995 et Sleater-Kinney grimpe dans les charts pour la première fois de son histoire (oui, quelque chose cloche dans cette phrase). La solide disco du groupe n’ayant jamais été évoquée dans nos colonnes, évitons de la ramener. Mais on ne se fait pas prier pour se replonger dans ‘The Woods‘ et ‘One Beat‘ ces jours-ci, et quel pied de découvrir enfin ‘All Hands On The Bad One‘, ‘Call The Doctor‘ ou encore (voire surtout) ‘Dig Me Out‘. Carrie Brownstein, Corin Tucker et Janet Weiss ont en effet le truc en plus qui différencie un groupe influent d’un groupe quelconque, une alchimie remarquable, de la personnalité à revendre et un style particulier qui a joliment mûri de disque en disque, flirtant même avec l’expérimental par endroits. Surtout, et c’est la raison principale derrière l’explosion de leur popularité, elles ne sont pas loin de signer leur meilleur album avec l’impressionnant ‘No Cities To Love‘.

Laissons de côté les racines punk et les idéaux féministes des débuts, ni reniés ni vraiment mis en avant sur un disque qui s’en prend plus volontiers au consumérisme, entre autres aliénations modernes (on ne va pas faire un essai sur les paroles, c’est pas du Kant hein). Le rock noisy et mélodique de Sleater-Kinney est le fruit d’une évolution mais évoque toujours les 90’s, quelque part entre ‘In Utero‘, les Pixies et Sonic Youth, avec un son assez distinctif mêlant les leads angulaires et les riffs tranchants de Carrie Brownstein, la guitare officiant plus ou moins de basse de Corin Tucker et l’épatant jeu de batterie de Janet Weiss. Ajoutons à cela deux voix qui prennent aux tripes, parfois trois, des harmonies en pagaille et une débauche de petites trouvailles à la minute. Sleater-Kinney assure techniquement, maitrise ses compos, abhorre le mid-tempo et évite autant que possible la répétition, ce qui conduit ici à des chansons ultra concises. L’album, très dense, enquille un maximum d’idées et de hooks en seulement 32 minutes, et si tout semble se bousculer un peu initialement on ne peut bientôt plus se passer des refrains de la chanson-titre, ‘Surface Envy‘, ‘No Anthems‘ (un peu tous en fait), prêts à être beuglés le poing levé, sans parler du solo renversant de ‘Gimme Love‘, du final de ‘Fade‘ et d’une foule d’autres moments jouissifs. De l’indie rock de premier choix, excentrique, passionnel, addictif, pas plus prise de tête que du Royal Blood et cependant mille fois plus classe. Welcome back, ladies.