Interview ☭ Olivier Libaux

De retour de Kuala Lumpur pour Nouvelle Vague, Olivier Libaux nous accueille en terrasse d’un hôtel parisien pour nous raconter la genèse du projet Uncovered QOTSA, ses coulisses et la suite à venir.

J’ai cru comprendre que le projet a mis longtemps à se mettre en place puisque tu as commencé à y penser en 2006. Combien ça s’est passé?’
Le point de départ, ça été la réponse de Josh Homme au mail que je lui ai envoyé. Je n’aurais rien fait s’il ne m’avait pas répondu ou répondu négativement. J’ai un peu attendu, ça m’a paru très long. C’est mon héros aussi donc il y avait beaucoup d’enjeux. A partir du moment où il m’a répondu, ça a mis 2 ans exactement.

Le temps de démarcher des labels et d’avoir des accords ou refus ?
Non le démarchage s’est fait en parallèle jusqu’à la création de mon propre label, étape que je pourrais développer plus tard. Les choses prennent du temps mais finalement vont au rythme auxquelles ça doit aller. La recherche de chanteuses n’a pas été si compliquée que ça. Par contre, entre le moment où il y a un accord de principe et celui elle va pouvoir faire sa voix, qu’on papote, qu’elle trouve sa tonalité, que je la briefe… Ca prend du temps, ainsi que la phase contrat. Un contrat me lie avec chacune des chanteuses présente sur l’album. Rien n’est compliqué mais ça prend du temps. L’enregistrement, plutôt que de tout faire en 15 jours j’ai fait une grande partie chez moi sur mon Logic. J’allais au studio de temps en temps pour avoir de vraies batteries par exemple. C’était le but du jeu : le Logic, c’est pour avoir une maquette proche de la production avec des instruments digitaux. Etaler sur le temps, ça m’a permis de voir les morceaux murir et d’être vraiment super content une fois que l’album est sorti parce que les versions ont eu le temps de s’installer. J’allais en studio tous les 3 mois environ.

Les chanteuses arrivaient à chaque fois à la fin du processus de création ou elles étaient associées à tout ça ?
En fait, j’envoyais une maquette quasi-définitive. Etape similaire au mail pour Josh Homme, je préparais mon petit mail que j’envoyais à la chanteuse que je souhaitais associer au projet. J’ai eu beaucoup de chance parce que dans celles choisies, il y en a qu’une que j’avais déjà rencontré. Il suffisait que je précise que j’étais de Nouvelle Vague et que j’avais l’accord de Josh Homme en précisant pourquoi je voulais travailler avec elle, elles disaient « je sais pas quand mais je vais le faire. ». J’ai toujours été très bien accueilli. J’ai été bâché 2 fois mais je ne dirais pas les noms par correction mais ça relevait juste du « j’ai pas le temps ».

Donc par rapport aux chanteuses présentes sur l’album, tu en as contacté une petite quinzaine ?
Oui, il y en a eu 13. J’aurais pu enchaîner mais j’ai eu le sentiment que l’album était terminé. D’autres chanteuses étaient partantes que je peux éventuellement contacter pour une suite… Avant d’envoyer le titre, j’essayais de faire coller le titre à la chanteuse. L’autre moment prodigieux, c’est celui où je recevais les voix.

Ah elles enregistraient à distance ?
2 sont venues : Rose-Mary parce qu’elle habite Paris et Emilia Torrini qui est venue ici.

Ce qui est drôle, c’est que tu ne les as pas vues ?
J’ai rencontré Alena Diane quand elle est venue chanter en juin 2013. C’est cool, on se voit et on se dit que l’album est bien. Skye par contre, je la connaissais. Elle habite Londres et je l’ai revue à Rough Trade East où elle est venue chanter son titre lors du QOTSA Day le jour de la sortie de «… Like Clockwork ». Donc le moment où je recevais les morceaux était génial car j’ai reçu des choses merveilleuses. Quand tu es à l’origine du projet, tu rêves et t’imagines le truc. Quand j’ai reçu « 3’s & 7’s » de Skye avec les choeurs… Elle me dit qu’elle les a rajoutées, que je ne suis pas obligée de les mettre mais qu’elle aime bien. J’ai trouvé ça splendide.

Le truc le plus merveilleux, c’est Inara George qui chante No One Knows et Hangin Tree. Je l’ai raconté sur le site mais je le raconte encore parce que l’anecdote est super. C’est une des premières que j’ai contacté. Elle voulait le faire mais elle était à Los Angeles et en plein voyage. Pour faire un essai, elle m’envoie un enregistrement qu’elle a fait avec son ordinateur « à l’arrache. » C’est la première voix que je reçois pour le projet et c’est… celle qui est sur le disque. Je l’ai écouté 30 fois de suite, je l’ai vu comme une révélation. Elle me parle d’un enregistrement en studio pour perfectionner le truc, me donne les prix à la journée mais dans ma tête je me dis qu’on en reparlera… Je suis donc allé l’écouter en studio avec Fred Carayolle en lui disant que c’était génial et je voulais son avis. Il pousse le son à fond, écoute au scalpel pour voir si on peut le mettre sur le disque. A fond, on entend un peu les taxis mais la prise est nickel. Pareil pour Hangin Tree, c’est la première version qui a été conservée. Quand t’as ce qui te faut et la magie, faut pas chercher plus loin. Il y a des parties de guitares que j’ai faite chez moi et que j’ai essayé de reproduire en studio mais je les sentais moins.

Comment t’as choisi les titres ? T’avais une playlist en tête ?
J’ai d’emblée écarté les 2 premiers, ce qui a chagriné les fans hardcore, parce que je n’entendais pas la matière dont j’ai besoin pour travailler. C’est-à-dire la mélodie qui apparait dans le vacarme. Il se trouve que les chansons qui m’inspiraient le plus se trouvaient dans Lullabies to Paralyze où c’était flagrant. Je continue à faire mon marché. Je n’avais pas de playlist même si des titres étaient évidents. Dès le début, je voulais faire Medication. J’allais piocher.

Le split par chanteuses ? Selon envie ou dispo ?
J’ai fait le bon choix quasiment à chaque fois. Sauf pour Emiliana où je suis passé au travers. Je lui ai envoyé I Never Came en lui disant que je l’ai faite pour elle et que ça va être magnifique. Mais elle me demande si je n’ai pas autre chose. Là, je me dis que ce n’est pas le coup de foudre. Alors je lui ai proposé Go With The Flow alors que j’avais passé des heures à préparer le morceau pour elle. Ce qui fait que I Never Came est passé vers Alena Diane.

Aucune en arrivant après l’accord de principe est venue en disant qu’elle voulait chanter « celle-là » ?
Si, Skye. Elle m’a dit que ses gamins étaient super fans de 3’s & 7’s, via Guitar Hero. Comme ils en étaient dingues, elle voulait la faire. Je l’avais repéré le morceau et quand je me suis intéressé à la structure je l’ai trouvé extrêmement complexe. J’ai changé quelques trucs, je lui ai envoyé et elle a trouvé ça super.

Assez chanceux sur ce coup parce que je m’attendais au vu de la discographie et du nombre de titres qu’on te fasse des demandes particulières.
Faut savoir un truc, c’est que pas mal connaissaient QOTSA mais pas au point de me dire quel morceau elle voulait chanter. Elles se sont fiées à moi suite à l’expérience de Nouvelle Vague. J’en reviens aux labels vite fait. A l’international plutôt parce que je ne suis quasiment pas aller voir les français. Ils m’ont tous dit que c’était une super idée et que c’était génial. Pendant 2 ans. Quand ils avaient les titres, pareil.

Question à la con pour les arrangements, tu te voyais direct partir vers cette orientation ?
C’est ma façon de faire donc oui. Le cahier des charges était présent dans mon premier mail à Josh Homme. Je ne savais pas s’il me connaissait alors je lui calé un morceau de Nouvelle Vague qui devait être Too Drunk To Fuck pour l’intriguer.

Tu t’es dit que si tu l’avais pas sur la forme, tu l’aurais sur le fond ? (rires)
Histoire de faire copain-copain, de montrer qu’on a déjà repris les Dead Kennedy’s. Je lui ai décrit le truc en lui parlant de la bossa nova utilisée pour Nouvelle Vague. Mais je ne trouve pas que ce projet soit tant bossa que ça même si on me ressort souvent cette étiquette là. Je lui ai dit que ce serait moins lolita, ni cheesy et que ce serait inspiré plutôt de Divine Comedy et Tindersticks. J’ai précisé que ce serait chanté par des femmes, donné les couleurs et les instruments utilisés. Bizarrement 2 ans après, j’ai repensé à mon cahier des charges et j’ai trouvé ça cool que c’était exactement l’album que j’avais décris. Je trouve que l’album est nettement plus sombre que de la bossa.

En même temps, vu les morceaux que tu as choisi ça pouvait être difficilement super cheesy. A part si tu avais choisi du Rated R à gogo, Era Vulgaris et Lullabies sont super sombres et les morceaux sont les plus noirs.
C’est bien que tu me dises ça parce que je continue à lire que c’est de la bossa. Or si t’écoutes Blood Is Love, on n’y est pas. C’est poétique, fort et les arrangements sont profonds. Après il doit y avoir un raccourci : « QOTSA en Bossa Nova » mais ça me dérange pas.

Tu disais avoir écarté volontairement les premiers albums. Mais par contre, en concert Feel Good Hit of Summer et The Lost Art of Keeping A Secret font parties des sets ?
Maintenant, je m’aperçois que je pourrais continuer en allant sur ses albums là. Mais tu sais que QOTSA, la première réaction de certains fans français a été de me bombarder d’insultes. Or, c’est l’un des groupes contemporains qui a été le plus repris. Neil Hannon reprenait No One Knows en 2004 en live. Ca fait longtemps, t’as même des projets pour enfants. Il me semblait qu’Avon et d’autres, je les avais déjà entendus dans des disques, même pas du tout similaires au mien. Les albums que j’ai choisi, c’est aussi ceux que j’ai le plus écouté. (pendant que des pigeons nous attaquent…) Feel Good Hit n’est pas forcément des plus passionnantes en studio et pourtant en live, elle s’y prête vachement bien et demeure l’un des morceaux les plus forts du concert. T’as des fans américains qui me demandent d’en faire un autre, on verra…

Est-ce qu’il y a eu des morceaux crève-coeurs que tu as essayé d’adapter sans trouver la forme adéquate ? Aussi, est-ce qu’il y a eu des morceaux auxquels tu ne voulais pas toucher ?
Non, il n’y a pas d’interdits sinon t’y vas pas. Nouvelle Vague, on avait repris Love Will Tear Us Apart en version ultra-cheesy. Avec le nombre d’albums de ce groupe-là, je me vautre peu. J’ai toujours une version non chantée de You Think I Ain’t Worth A Dollar but I Feel like a Millionaire. J’avais contacté Alison Mosshart de The Kills mais c’était une période où elle a eu des problèmes de santé et elle a du annuler des concerts. Après c’est le genre de groupes qui repart pour une tournée intensive de 6 mois donc comme le projet était quasi-bouclé, j’ai laissé de côté. Ce sera peut-être le premier morceau du volume 2, on verra.

Like Clockwork est sorti une semaine avant Uncovered QOTSA. J’ai vu qu’If I Had A Tail avait eu le droit à son traitement de faveur puisqu’elle est présente sur le vinyle en acoustique. D’autres morceaux en vue ?
If Had A Tail est cool car particulièrement douce. Il y a toujours moyen : I Sat By The Ocean peut être un beau voyage aussi. Il est plus mélodique cet album car plus lent.

La sortie simultanée, c’est un autre grand moment. 1 an et demi après le début du projet, j’écris à Josh. Je ne l’ai pas fait souvent mais à l’époque des premières maquettes chantées, je l’avais fait. Il me dit que c’est un honneur, que certaines chantent mieux que lui, il était ravi. Février 2013, je lui dit que j’ai terminé et que ça sortira bientôt via le label que j’ai créé. Il est super content, me remercie pour le boulot et me dit qu’il finit le dernier QOTSA demain. Et repart sur l’album en me disant que je suis allé au coeur des chansons en virant « les merdes ».

Dans ma tête, je me dis que s’il termine maintenant il le sort dans 2/3 mois. Comme moi donc je me pose un cas de conscience énorme. Est-ce que c’est bien de le faire en même temps ? Puis, je reçois d’un pote la com’ de Beggars annonçant la sortie exacte. Rough Trade en parallèle m’avait pris pas mal de disques et m’annonce que le groupe va jouer dans le magasin et nous invite à jouer avant dans l’aprém. Je décide donc de le sortir une semaine après.

Une fois chez Rough Trade, Nina qui est au parfum des médias anglais me dit que Josh n’arrête pas de parler du projet en interview. Il m’en avait parlé par mail et m’avait précisé qu’il voulait me rencontrer à Paris.

Tu les as vus lors de leur passage au Trianon ?
Non, on a joué plus tôt et c’était fou. Triple badge de sécu, un monde fou dehors. Tu passais les cordons, tu sentais les regards sur toi : la haine et la jalousie. On ne les a pas vu parce qu’il y avait plein de monde dans le magasin. Ils sont rentrés par derrière juste avant le concert. Ce qui est marrant, c’est que Josh est un génie, c’est un super mec mais il est aussi très drôle. En milieu de set, il décide de remercier le public en disant qu’ils sont fantastiques et que c’est dommage qu’autant de gens soient dehors. Et il commence à dire « et vous dehors, ça va ? ». Sauf qu’il n’y avait pas d’écran ! Grand silence. Le mec se justifie en disant qu’il a pas vu le devant du magasin parce qu’il arrivait par la porte de derrière… Ils ont joué sur une scène minuscule, je sais même pas comment ils ont tenus dessus.

La tournée continue avec Saint-Eustache ?
On joue dans le cadre des nuits du Louvre-Lens au Colisée de Lens et ensuite Saint-Eustache le 20 mai.

La suite du projet, c’est ? Tu évoquais une suite…
Si on reste dans le créneau de la reprise, pourquoi pas… Mais j’ai une soif aussi de création comme j’avais fait Imbécile il y a quelques années. J’ai 5 projets qui me tentent. La suite d’Imbécile, un autre projet de reprises,… Je ne sais pas par lequel commencer mais ça va venir. Ca me gonfle qu’on dise que je ne fais que des reprises donc je vais sûrement enchaîner par ça.

Les reprises, ce serait encore avec un groupe en particulier ou autre chose ?
Oui, un groupe. Je trouve que c’est un vrai challenge de reprendre un groupe contemporain. On l’a fait avec Nouvelle Vague certes mais c’est extra de s’attaquer à l’oeuvre d’un groupe et d’un homme. Je suis assez convaincu que Josh peut devenir un Johnny Cash qui peut se poser avec une guitare acoustique et devenir un vieux beau rockeur.

On le sent encore plus avec le dernier album où sa patte est vraiment partout et il est parfois quasi-seul.
Oui, puis il y a des balades. C’est là que mon disque a un petit rôle à jouer, c’est là qu’on voit que ça fait longtemps qu’il écrit de magnifiques chansons avec des textes supers. C’est un auteur compositeur immense et c’est génial de s’attaquer à un groupe contemporain. Dans une ITW de Luc Frelon sur France Inter dispo sur Youtube, il se dit enchanté du projet de reprises car il sait que les chansons peuvent ressortir comme ça. Lui se dit incapable de pouvoir le faire soi-même parce que lorsqu’il prend une guitare, elle sonne heavy. C’est sa façon de jouer.

Mais ce sera pas la même histoire si je prends un autre groupe comme inspiration. Je ne pense pas non plus que je vais tomber à chaque fois sur des artistes ravis que je dévoile les parts féminines de leur oeuvre. (rires)

Enfin, ton futur projet tu le vois encore avec des voix féminines ?
Je n’aime pas les voix d’hommes, ça m’ennuie. A part les bonnes voix d’hommes en français comme Philippe Katerine ou JP Nataf que je peux écouter chanter pendant des heures. Florent Marchet également. Je serais ravi d’avoir leurs voix sur des chansons à moi. Mais lorsqu’il s’agit de rock transfiguré, je trouve qu’il y a rien de plus beau que c’est une femme qui chante. Aussi parce qu’à l’origine, c’est chanté par des mecs.

Beau projet en tout cas, surprenant et qui gagne avec le temps.
Au début, j’avais les foies lorsque j’envoyais les premières pistes à Josh. Je lui disais « j’espère que tu vas aimer » mais en réalité, il y avait tellement de passion dans le projet, on a mis tout notre coeur.

Merci à William Piel pour l’organisation et un grand merci à Olivier Libaux pour sa disponibilité et sa gentillesse.