Interview ☭ Far

En plus d’être un groupe culte, Far, ils sont cool. Shaun Lopez (guitare, production) et Jonah Matranga (voix, guitare) sont le genre de mecs avec qui on ne doit pas passer par deux attachés de presse paranos pour leur poser des questions, mais qui te répondent à leur rythme, sans langue de bois.

VisualMusic : La reformation de Far était une surprise totale, y compris pour vous quatre. Vous avez toujours dit qu’il n’y avait rien de planifié dans le comeback, maintenant que l’album est sorti, est-ce toujours le cas? Ou avez-vous un plan?
Jonah Matranga (voix/guitare) : Non, pas de plan. Toujours la même attitude. On n’est parfois pas d’accord sur grand chose, mais on l’est là-dessus.

VM : At Night We Live est un album varié, agressif mais aussi atmosphérique. Comment le décrirais-tu? Quels sont tes morceaux préférés, et pourquoi?
JM : Hmm. Pour l’instant, ‘The Ghost That Kept On Haunting’, ‘Fight Song #16,233,241’ and ‘At Night We Live’. Mais je les aime tous, c’est un album de Far du début à la fin, on avait juste l’intention de repousser les frontières de ce qu’on album rock est censé être.

Shaun Lopez (guitare/production) : Ca fait du bien. Les gens qui l’ont entendu l’aiment, je suis heureux de ce qu’on en a fait. C’est ce qui compte le plus. Mon morceau préféré est aussi ‘Ghost’, même si on ne l’a pas encore joué en concert. Le couplet est un des trucs préférés que j’ai écrit depuis longtemps. J’adore le groupe M83 et je voulais les émuler pour ce morceau.

VM : Comment s’est passé l’écriture de l’album, avez-vous écrit les morceaux ensemble? Et pourquoi avez-vous décidé d’inclure deux vieux morceaux de Jonah, ‘Burns’ et ‘Are You Sure’?
JM : Ces chansons ont été écrites avant And (son dernier album solo, ndlr), pendant la période Onelinedrawing. Je laisse simplement les morceaux venir, et je suis prêt à les mettre n’importe où. On a ajouté ces deux morceaux aux autres, et elles ont simplement été retenues pour l’album. Elles ont juste été « far-ifiées » par rapport à leur version originale. Pour le reste, Shaun et moi avons écrit l’album via internet. Il m’envoyait des idées de base, je les transformais, ajoutais des paroles et mélodies, et puis je lui renvoyais. Ca fonctionne très bien comme ça.

SL : J’ai écrit quasi tous les morceaux dans mon studio, très tard dans la nuit. Je lançais la boîte à rythmes, et je commençais à jouer avec ça, ou un bout de guitare. Puis j’envoyais le tout par mail à Jonah, qui venait de se réveiller. Il chantait dessus, et me les renvoyait. Quand on a commencé à avoir pas mal de morceaux, Chris (Robyn, batterie) est venu en studio pour quelques jams, et puis on a commencé à enregistrer à quatre.

VM : Niveau paroles, quels sont les thèmes que tu as voulu aborder? « At Night We Live » (le morceau) parle d’un rêve que tu as eu à propos de Chi Cheng, et les autres? « Fight Song » semble carrément parler du retour de Far.
JM : « Fight Song » parle définitivement de cela, se sentir fort et libre. « Better Surrender » parle de ça aussi. Pour le reste, comme toujours, les paroles viennent d’un peu partout, difficile de préciser. Et même ces deux morceaux parlent de bien plus que de Far.

SL : (concernant « Fight Song ») Exactement, c’est ce qu’on pensait à l’époque, et toujours maintenant, d’ailleurs.

VM : « Dear Enemy » provient carrément une bagarre entre vous deux, non?
SL : J’ai écrit « Dear Enemy » parce que je voulais écrire quelque chose que Jonah allait détester, parce qu’à l’époque, on se détestait. Il a pris le morceau, et l’a retravaillé, c’était sa réponse. Et devine quoi? C’était juste parfait. Je pense que les meilleurs morceaux, les meilleurs albums naissent de la douleur, de combats. Si c’est trop facile, ça n’en vaut sans doute pas la peine.

VM : Et ‘Deafening’? « We’re choosing fear over love every time », d’où est-ce que cela provient?
JM : Plutôt que d’écrire des chansons politiques, j’ai toujours tenté d’aller plus loin que l’argumentation pour atteindre le coeur des problèmes. ‘Deafening’ est inspiré par le sentiment d’être submergé par tous les gens qui se hurlent dessus aux infos à la TV, sur les forums internet, juste pour attirer l’attention. Ils prennent des positions de plus en plus extrêmes juste pour trouver une raison de s’engueuler. C’est un cercle vicieux, que j’ai résumé par « We’re damned if we think we’re divine ».

VM : Comment perçois-tu l’évolution de Far ces dix dernières années? Quand on écoute At Night We Live juste après Water and Solutions, il y a une connexion, mais ANWL est plus varié. Et ton amour de Beyoncé, il se retrouve où, dans tout ça?
JM : Sérieusement, mon amour de Beyoncé se retrouve partout. J’aime la Chanson, je me fiche de qui l’a écrite ou qui la chante. Je déteste quand les gens pensent qu’ils sont trop cools pour profiter d’un bon refrain. C’est mon but, dans Far et ailleurs. Je pense qu’au fil des années, Shaun est devenu plus intéressé par la Chanson, ce qui est très cool. Mais il reste un gros fan des bons riffs, et moi aussi.

VM : Shaun?
SL : Je pense que nous avons mûri en tant que musiciens. Jonah s’inquiète moins que ce soit « son » groupe, même chose pour moi : c’est juste Far.

VM : Tu as produit ANWL, que recherchais-tu en terme de production, et qu’est-ce qui a changé depuis Water and Solutions? ATWL est nettement plus produit, avec un peu d’électro, et beaucoup d’effets de guitare, d’effets sur la voix de Jonah.
SL : Ouais, je voulais m’amuser. Je voulais aussi servir chaque morceau le mieux possible. W&S était beaucoup plus brut, sans post-production, enregistré et mixé en six semaines. Je l’adore pour ça, mais je voulais un son plus grand pour ANWL.

VM : ANWL est très varié, avais-tu peur de choquer vos fans? Un morceau comme « If You Cared Enough » est très catchy/rock FM.
SL : Je ne m’en fais pas trop de ce que les gens pensent. Je veux qu’ils aiment, évidemment, mais je n’écris pour personne, j’écris juste ce qui vient. Si c’est metal, si c’est pop, alors voilà. Je suppose que nos fans plutôt « emo » ont été déçus par « Deafening », mais tant pis. Ils n’ont qu’à se décoincer le cul et apprendre à aimer le Riff Tout-Puissant une fois de temps en temps. Mais ils auront de l’emo quand même, je le promets.

VM : Qui est le plus gros fan de pop/RnB superproduite?
JM : Pas certain, mais je suis à fond dedans (rires)

SL : Ouais, c’est lui.

VM : Nos lecteurs demandent, exigent, une tournée en Europe et un passage en France/Belgique. On leur dit quoi?
JM : J’espère qu’on pourra venir. rien n’est prévu jusque maintenant, mais nous voulons aller un peu partout, y compris en Europe.

SL : Jonah n’aime pas partir en tournée pour plus de deux semaines, et puis il a ses tournées solo aussi, donc ce n’est pas facile d’arranger une tournée. Mais en ce qui me concerne, c’est quand on veut. Je veux vraiment qu’on entende cet album. Et j’adore venir en Europe.

VM : Jonah, quelques mots sur ta carrière solo. Tu reprends une vie dans un groupe rock, mais tu continues à faire des petits concerts solo, y compris au domicile de fans. C’est toujours important pour toi, de garder cette connexion?
JM : C’est ce qui est le plus important pour moi, ça et mon amour tout simple pour ce que je crée. Ce sera toujours le centre de ce que je fais, mais le partager d’une manière directe et personnelle vient juste après.

VM : Tu vends des cd (notamment) personnalisés, fait main via ton site web (www.jonahmatranga.com), et les fans peuvent faire varier le prix d’achat selon leurs envies et leurs moyens. Que penses-tu de l’évolution du business musical, notamment du prix des tickets de concerts (ndr : Matranga vend souvent des tickets directement sur son site, sans les frais habituels type Ticketmaster).
JM : Je ne pige pas pourquoi les concerts sont si chers ces jours-ci, il faut vraiment avoir les moyens. Je suppose que les groupes doivent bien vivre, mais bon, j’aimerais que cela coûte moins cher. Tout est exagéré, ces jours-ci. Mon système de réduction de prix est fun, mais m’oblige à diminuer mes frais le plus possible, histoire de pouvoir fixer des prix aussi bas que possible, et flexibles. C’est ce en quoi je crois. Je me sens comme un petit fermier bio, mais pour le rock (rires).

VM : Ta dernière sortie solo est un album de reprises, peut-on s’attendre à quelque chose de nouveau bientôt? Un second volume, un témoignage de la récente « réunion » de Onelinedrawing? Ou carrément un nouvel album solo, la suite de And?
JM : Ouaip, nouvel album le 11 août, jour de mon anniversaire. Plus d’info bientôt (ndlr : depuis, il a annoncé les infos en question, notamment le concept collaboratif d’un album où tout le monde peut participer, voir www.jonahmatranga.com)

VM : En parlant de reprises, tu a repris Weezer version RnB, Beyoncé, Pearl Jam : est-ce que tout t’inspire?
JM : Je suppose, oui. J’aime la musique, et chipoter avec. Les idées, c’est fun et infini.

VM : Barack Obama (Matranga a soutenu Obama pendant sa campagne, notamment en écrivant un morceau, « I Believe Barack Obama »). La première année était forcément difficile, crois-tu toujours en lui?
JM : Plus que jamais. Il a réussi a faire passer l’élargissement des soins de santé, ce qui personne n’avait réussi à faire. Il fait tout ce qu’il doit faire, calmement et de manière sensée. Quand les dingues de l’extrême droite et de l’extrême gauche s’excitent en même temps, c’est que tu fais du bon boulot.

VM : Que penses-tu de Myspace, Twitter, Facebook, etc? Un mal nécessaire, ou une méthode vraiment efficace pour interagir avec tes fans?
JM : Comme n’importe quelle technologie, tout dépend de ce qu’on en fait. J’aime rester en contact, et pour cela c’est cool, mais c’est parfois bizarre. Pour moi, plus c’est personnel, mieux c’est. Je suis en train de reconstruire mon site, et je vais essayer de tout centrer à partir de là. Pas de pubs Facebook et tout cela, plus de fun.

VM : Question d’un lecteur de VisualMusic : Penses-tu reformer New End Original un jour? Et que se passe-t-il entre toi et J.Lo?

(petite explication : Matranga utilise depuis des années un logo, composé d’un point d’interrogation qui englobe un coeur. Des fans se le sont fait tatouer, il apparaît sur beaucoup de matériel signé Matranga, bref, c’est un peu sa marque. Jennifer Lopez a utilisé un logo très similaire lors d’une performance télé, et compterait l’utiliser comme outil promo pour son prochain album. Depuis, Matranga a demandé qu’on lui envoie photos et témoignages de fans, et pense tenter d’empêcher Lopez de l’utiliser).
JM : Pour New End, qui sait, mais je ne pense pas. Je me demande ce que Charlie fait, ces jours-ci. Mais cela pourrait être fun pour un show ou l’autre, je demanderai à Norman (rires). En ce qui concerne J.Lo, Chris (Robyn, batteur de Far mais aussi avocat) m’aide pour la paperasserie, les marques déposées et tout ça. C’est magnifique, j’ai reçu des tonnes d’images et de souvenirs associés au logo. Je vais faire quelques trucs personnels et les vendre sur le site pour aider à couvrir les frais légaux. Je ne veux pas de gros procès retentissant, mais juste faire ce que je peux, et cela fait du bien d’avoir autant de soutien.

VM : Tiens, le dernier Deftones a été accueilli assez fraîchement par VisualMusic, qu’en pensez-vous?
JM : J’aime ce que j’en ai entendu. Leur persévérance me fascine. Ils peuvent être assez fainéants, parfois, mais d’un côté, c’est aussi leur force. Ils restent ensemble, et continuent ensemble, je les admire pour cela.

VM : Shaun, tu as travaillé avec eux récemment, non?
SL : J’ai mixé les trois morceaux bonus. L’album est fantastique, j’aime ces mecs comme des frères, et je suis très fier de ce qu’ils ont fait, compte tenu de la situation. Ils restent un des rares groupes de rock « lourd » qui continue à sortir du nouveau matériel qui me fout la chair de poule. C’est très rare et difficile à faire, mais ils le font à chaque fois.

VM : Avec qui travailles-tu ces temps-ci?
SL : Je viens de terminer l’album de Black Pacific, qui est le nouveau groupe de Jim Lindberg, l’ex-chanteur de Pennywise. J’ai aussi joué de la guitare sur tout l’album, c’est vachement bien. Je travaille aussi avec un très bon groupe de Montreal, qui n’a pas encore de nom pour l’instant. Ils sonnent comme Tool, mais plus lourd et plus commercial.

VM : Peux-tu nous parler de ton projet The Holy Ghost, une collaboration avec Chino Moreno et Annie Hardy, c’est cela?
SL : THHOLYGHST, c’est moi et mon pote Chuck Doom, un musicien et compositeur très talentueux. J’adore travailler avec lui, il y a vraiment quelque chose entre nous. On n’est pas encore très loin, mais c’est mon projet préféré pour l’instant. On a écrit 15-20 morceaux qui n’attendent plus que les voix. On compte recruter différents vocalistes, de styles différents. La musique est très cinématique. On a donc Chino, Annie de Giant Drag, Richard Patrick (Filter), et on est en contact avec plein d’autres. On devrait juste changer le nom, parce qu’il y a déjà un Holy Ghost. Chaque chose en son temps.

VM : Questions de nos lecteurs : Pourquoi est-ce tous ces groupes des 90s se reforment? Rival Schools, Chokebore, RATM, Faith No More, Soundgarden, Far.
SL : Je ne sais pas pourquoi, mais bon, tant mieux. Il faut dire qu’il n’y a pas grand chose d’excitant dans le rock ces temps-ci… Je suis content de voir Soundgarden revenir, j’espère juste que c’est pour les bonnes raisons.

VM : As-tu invité du monde sur ANWL?
SL : Chino devait faire un truc, mais ça ne s’est pas fait. Mais depuis qu’il nous a piqué Savory pour l’album de faces B, il nous doit quelque chose.

VM : Peux-tu nous recommander des nouveaux groupes de Sacto? Que tu pourrais prendre en tournée?
SL : Je vis à LA depuis 2002, donc je ne connais pas bien la scène de Sacramento actuelle. J’ai acheté une maison à LA, ouvert un studio, et c’est fantastique depuis.

VM : Merci pour cette interview, on espère vous croiser un de ces jours sur ces terres pas si hostiles

JM : De rien, on espère aussi!

SL : Merci Denis!