Interview ☭ Zone Libre

A la veille de leur prestation aux Solidays, retour sur un entretien réalisé en mars dernier avec quatre membres du coup-de-bouloïde projet Zone Libre, trio noise à la française rejoint par deux pointures du flow corrosif. Je rencontrais ce soir-là Serge Teyssot-Gay, Cyril Bilbeaud, Casey et B.James, dans le bruit d’un resto adjacent au Nouveau Casino. Entre deux commandes de menu, on cause du deuxième album du groupe, Les Contes du Chaos : un uppercut de plus, chroniqué dans notre zine tout rouge, que le quintet bouillonnant confirmait en live ce soir-là.

Pour commencer, j’ai l’impression que ce deuxième album est plus direct, voire plus agressif, comme si au premier disque vous vouliez vous assurer de vos appuis avant d’envoyer plus méchamment…
Cyril : On était plus timides sur le premier. On a attendu de pouvoir se jauger. Là, on a eu la tournée ensemble, on a appris à se connaître, B.James est arrivé, on a fait beaucoup de dates … beaucoup de promiscuité, d’heures de route dans le camion, et voilà [sourire].

Casey : B.James est plus agressif, c’est vrai. [rires, B.James restant très réservé et calme pendant toute l’interview]

Le premier album, c’était plutôt un face-à-face, et le deuxième une démarche en front commun, comme vous le dites dans Aiguise-Moi Ca ?
Cyril : Oui. Quoique nous trois, on peut interpréter les morceaux du deuxième album en trio. On a moins cherché à aller sur leur terrain, on est plus restés sur le nôtre, parce qu’on s’est rendus compte que ça fonctionnait très bien comme ça aussi.

Du coup, la méthode de composition a changé ? Les instruments d’un côté, le flow et les textes de l’autre ?
Serge : La méthode n’a pas changé. Déjà on compose en tant que trio, on a notre identité, et on se retrouve sans parler. Parce qu’on est un groupe instrumental au départ, donc il peut se passer six mois sans qu’on se soit vus, puis on se retrouve : « salut, salut », et notre meilleure façon de se dire les uns aux autres ce qu’on a fait pendant tout ce temps, c’est de jouer. Et c’est vraiment comme ça que quelque chose émerge : des idées, des sons, des vibrations, l’électricité… cet esprit urbain. C’est vraiment le résultat de trois personnalités. Et on pousse de façon naturelle cette façon de composer jusqu’à l’enregistrement : on fait toujours tout ensemble, on enregistre en live. Donc au départ, il y a le trio. Une fois qu’on a cumulé un certain nombre d’idées, on se voit tous les cinq : là on décide quelle idée on garde, quels trucs on jette. Il n’y a personne qui arrive en disant : « j’ai une idée de composition », on fonctionne vraiment à trois sur le plan instrumental. Et une fois qu’on a décidé tous les cinq les idées sur lesquelles on va travailler, ça continue d’aller très vite. D’une, parce qu’on n’a pas le temps de prendre plus de temps, vu qu’on a quatorze jours pour enregistrer, et deuxièmement parce que c’est la façon la plus adaptée pour travailler, c’est-à-dire travailler live, avec à ce moment-là Bob Coke [producteur de l’album] qui capte tout ce qu’il se passe dans le studio. Et on demande à Casey à B.James de nous orienter, quelle est leur conception du morceau, le nombre de mesures, s’il y a un refrain, etc. Donc on a ces indications-là, on fait avec et on leur fourni quelque chose qui est à la fois sur mesure pour eux et sur mesure pour nous, parce qu’on se réserve des plages de liberté, ne serait-ce que par l’interprétation de ce qu’on va faire en sous-bassement, c’est-à-dire les sons, les timbres, on est vachement là-dessus. Les résonances des guitares, comment elles s’interfèrent l’une et l’autre, comment tout ça se forme… Et là Casey et B.James sont avec nous pendant l’enregistrement, dans une autre pièce, en train d’écrire. Et on découvre leurs textes quand ils enregistrent. Voilà.

Il n’y a pas un échange qui se fait ? Une partie qui donne son avis à l’autre : tel riff, telle phrase ?
Serge : En musique, si, parce que c’est quelque chose de malléable, de volatile. Après on est complémentaires, on se connaît, on se fait confiance, c’est fluide.

Au niveau des textes, Casey ? Même question : l’agressivité ? Il fallait un temps pour trouver ses marques ? J’ai senti des mots plus durs, des intentions plus violentes dans les paroles.
Casey : Je sais pas si l’album est plus agressif que le précédent, je trouve pas tant que ça. Au niveau des thématiques, du rap, j’ai pas l’impression d’avoir changé grand-chose par rapport à ce que je fais ailleurs et ce que je suis, ni même par rapport au premier disque. Par contre oui, ça a joué qu’il y ait une tournée entre les deux. Les muscles étaient chauds, ça y est [sourire]. Plutôt que l’entrée à froid du premier disque en studio, où tu cherches des repères… On a surtout beaucoup joué ensemble, tu vois, donc on a eu le temps de sédimenter quelque chose. Il y a un truc qui s’est aggloméré tout seul, sans qu’on se rende compte. Et ça apparaît clairement plus sur cet album-là. Il y a quelque chose qui s’est ouvert avec ce disque et les concerts, il y a la cage thoracique qui s’est ouverte, il y a la gorge qui s’est ouverte, c’est clairement plus libéré. Mais c’est la scène qui a fait ça, c’est pas la personnalité, c’est pas le fait de passer à un autre disque, c’est les concerts…

En parlant de ça, j’ai cru comprendre que vous ne tourniez pas forcément dans les mêmes circuits hip-hop, du fait du côté hybride de ce projet. Je trouvais ça intéressant, d’autant que ça vous amènerait à jouer ailleurs et à toucher d’autres gens qui sont pas forcément à fond rock ou à fond rap.
Casey : On ne choisit pas du tout où on joue, on n’a aucun contrôle là-dessus et on peut pas trop se permettre de choisir, vu la crise… Par contre, dans le public, c’est différent : il y a un peu de tout. On doit avoir 80% de curieux, 5% des fans de Sergio, certains qui connaissent Zone Libre en trio, d’autres qui les connaissent séparément… Ça se mélange beaucoup dans les gens qui viennent nous voir. Après je pense qu’il y en a aussi pas mal qui veulent découvrir cette formation-là telle qu’elle est maintenant.

Je crois que ça doit être la majorité du public, et tant mieux, c’est une démarche plus saine.
Casey : Oui voilà, des gens qui sont pas dans le « casting ».

Pour revenir au disque, si vous aviez un mot pour le décrire, sans étiquettes ou sans genre, ça serait lequel ?
Casey : Oulà… Pour moi c’est juste que ça fait « BRRRRRRRINNNNN !! », c’est même pas un mot, c’est une onomatopée !

Serge : Et si c’était une odeur, ça serait le goudron…

Casey : … chaudement coulé, quoi ! L’asphalte ! Sinon bon, on s’est pas pris la tête à essayer de définir ça, tu vois…

Vous verriez évoluer ce projet comment, si tant est que vous y pensiez un peu ? De façon toujours aussi frontale ou plus aérée ?
Cyril : On sait vraiment pas, on n’est pas dans la projection. On savait déjà pas qu’on ferait un deuxième album…

Serge : On a déjà besoin de vivre ce qu’on fait là. Il y a des choses qui monteront, il y a des envies qui monteront…

Cyril : Là on est dans Les Contes du Chaos. Quand la tournée sera terminée, on verra…

Serge : Et encore, là on n’est qu’au début de la tournée, ça fait dix ou quinze jours qu’on est en route… C’est quelque chose de neuf, on veut rester dans cette dynamique-là de jouer, de partager ces moments.

Vous avez eu un coup de cœur musical récemment, chacun ?
Casey : Avec B.James on a bien kiffé un groupe qui s’appelle Odd Future.

Cyril : Je crois que le nom complet du groupe c’est Odd Future Golf Wang Kill Them All !

B. James : J’ai découvert un truc qui s’appelle Jesus Lizard… Bien cool.

Serge: Le dernier album des Young Gods, il est sorti il y a pas longtemps.

Cyril : Ouais, moi aussi. Une grosse claque, ça fait du bien !

Merci à Capucine et Emilie de Ladilafé Productions.
Merci à Ariel et au groupe pour sa patience.