Protomartyr ✖︎ Ultimate Success Today

Trois ans après Relatives In Descent, Protomartyr continue de prendre du galon à chaque disque pour construire un succès critique mérité au prix d’efforts exigeants et intenses. Une ressortie pour All Passion, No Technique, un EP avec Kelley Deal des Breeders, un split avec Preoccupations pour patienter et les voici avec Ultimate Success Today toujours chez Domino.

Implacable.

« Processed By The Boys » est arrivé avant le confinement et a mis par terre tous leurs admirateurs. Petit virage jazzy avec l’incursion de saxophones, une mélodie en contre-temps et comme toujours, Joe Casey entre rage et laisser-aller. Des guitares immanquables, une percussion tortueuse et Protomartyr avait déjà en 5 minutes remis les pendules à l’heure sur la scène du rock indé. Elle se place comme l’une de leurs plus belles réussites aux côtés de « Why Does It Shake », « The Chuckler » ou « Scum, Rise! » et également dans les meilleurs morceaux de l’année. On a d’ailleurs pu la retrouver dans toutes les playlists « confinement » des artistes rock. L’intro avec « Day Without End » nous accueille avec une intensité sans pareille et il n’y a pas besoin de faire les présentations plus longtemps : le groupe n’a pas diluer sa formule et l’a même agrémenté de cuivres, de flûte et de violoncelle sans la compliquer pour autant. La tension est bigrement présente et encore une fois, Ultimate Success Today fait partie de ces albums que l’on ne met pas juste en fond mais que l’on apprécie au fil des écoutes et dans lequel on s’amuse à fouiller parmi les couches et fouiner dans le sens des paroles.

Souvent aux alentours des 4 minutes, les chansons n’ont pas besoin de plus pour déployer leur emprise et installer une ambiance inimitable. « I Am You Now » a la structure la plus agitée proche du spoken word avec des riffs de guitares assez rares, groovy puis très agressif. L’arrivée bienvenue d’Half Waif sur « June 21 » illumine le disque et offre un aperçu de ce que pourrait donner un titre de The National dans les mains de nos tortionnaires de Detroit. Ces nouveautés ne viennent pas parasiter le son du groupe mais l’enrichissent et le tout se marie naturellement. Dans le podcast d’Aquarium Drunkard, Joe Casey avoue ne pas vouloir passer au-dessus des instruments et on est en présence d’un bel effort collectif harmonieux où personne ne se tire la couverture. A la co-production avec David Tolomei déjà vu avec Beach House et les Dirty Projectors, le groupe a su faire de la place à ses nombreux nouveaux collaborateurs sans oublier l’âpreté et la brutalité qui les caractérisent. Une production riche dont les nombreuses couches se dévoilent au fil des écoutes mais n’obligent pas d’attendre un déclic avant d’être apprécié, comme pouvait parfois l’être le précédent.

Sérieux sans être plombant, le disque s’offre quelques moments plus nerveux dont le coup de poing « Michigan Hammers » et la frontale « Tranquilizer » profitent pour muscler la deuxième moitié de l’album. Dans la continuité de Relatives In Descent, ce disque a tendance à ralentir la cadence sans oublier ces racines post-punk avec les guitares accrocheuses de Greg Ahee ou les percussions implacables et impeccables de Alex Leonard. Au chant, Joe fait encore des merveilles avec son style chanté/parlé/râlé si particulier accompagné des paroles pétries de références à la littérature et de sens caché mettant en avant la dure vie de l’homme moyen sous le poids du travail, de la société et des problèmes politiques et climatiques. Si Greg Ahee est le maître à penser des compositions et le chef d’orchestre du son du groupe, leur interprète les transcende et livre une partition exceptionnelle jusqu’aux dernières lignes du disque.

Incontournable.

Ultimate Success Today condense le travail de Protomartyr en réussissant à empiler les titres sans les étirer en longueur. La construction de la tracklist est d’une cohérence folle où on a parfois l’impression que tout est construit par transition et que les titres ont l’air de fonctionner par binôme et réussissent à introduire de nouvelles notions pour passer à la piste suivante. Ils placent les titres les plus dramatiques au début et à la fin, ces deux morceaux partageraient même un caractère interchangeable si « Worm In Heaven » n’avait pas des allures d’épitaphe cathartique. Composé comme la fin d’une pièce de théâtre en cinq actes, ce disque s’achève sur une belle note positive et mélancolique qui nous incite encore plus à entendre ce que le groupe a encore à nous dire dans la prochaine décennie. Cette cuvée 2020 est envoûtante, les place encore à nouveau au-dessus de la mêlée et nous fait cumuler les écoutes à une vitesse indécente pour en creuser les secrets sans lassitude, ni redondance.

Avec une prochaine tournée prévue pour être jouer en compagnie de Kelley Deal à la guitare et aux back vocals, on a tant hâte de revoir le groupe que l’on essaie de ne pas trop y penser. Bien sûr, Protomartyr n’est pas le groupe qui vous fera danser ou vous remontera le moral mais vous pouvez vous assurer qu’ils ont mis toutes leurs forces et leurs âmes dans leur musique et il est bien assez rare pour ne pas y succomber et les accompagner.