PLAYFIST ☭ Ty Segall

Ty Segall a autant d’albums et de projets que de doigts aux mains et d’orteils aux pieds. Il est peut-être aussi difficile de s’y retrouver pour un petit nouveau que facile pour un initié d’avoir laissé passer quelques pépites au milieu de cette touffue production. Dans un voyage qui démarre en 2008 et qui est loin d’avoir une date de fin, l’homme s’exerce au chant, à la batterie et à la guitare bien sûr. On a volontairement mis de côté ses autres projets pour se concentrer uniquement sur ce qui porte son nom et c’est déjà pas mal.

Les débuts et l’alliance avec John Dwyer.

Sa carrière commence avec un album titré de son nom dont on ne sélectionnera rien ici pour cause de son très, très garage et de compositions assez expéditives. Un split avec le groupe Black Time et un autre avec Mikal Cronin et c’est déjà l’heure d’un autre album deux ans plus tard. Melted est le disque doté d’une pochette tout droit sorti de Massacre à la Tronçonneuse et c’est quasiment par là où tout commence. Remis à l’honneur lors des doubles concerts de 2019, il collectionne quelques pépites comme l’introductive « Finger » ou « Girlfriend« . Des titres simples, accrocheurs à la production parfois un peu ramassée mais où on reconnait déjà la patte folle du bonhomme par son goût pour le glam rock, la saturation et les passages psychés. Plus tard, Twins laisse la place à plus de moyens et va plus loin avec des guitares épiques, plus de respiration et un son plus clair. Les trois premiers morceaux posent les bases d’un disque énervé, costaud, plus pro. On y voit déjà des ambitions d’ouvertures avec « The Hill » et ses choeurs féminins mais la galette impressionne par son déferlement de tubes. Léger, fun et efficace, c’est encore maintenant un de ses albums les plus réussis.

Avec White Fence et Fuzz, deux nouveaux groupes naissent. A la compo en duo dans le premier projet et à la batterie dans le second, les aventures de Ty ne trouvent plus de limites et c’est d’ailleurs dans l’acoustique qu’il trouvera l’inspiration pour son nouveau solo Sleeper. Le titre éponyme est encore une abonnée des setlists et ouvre parfaitement car elle cadre la ligne directrice du disque. Même si l’album résiste bien au poids des années, ce n’est pas là où l’homme est le plus talentueux. Dans un registre déjà fort représenté, il est sûrement plus créatif lorsque l’exercice est moins restreint.

 

L’explosion avec Manipulator.

Réputé pour ne jamais passer trop de temps en studio et coucher rapidement sur disque ce qu’il se passe entre ses mains, Ty Segall se plie au double album. Manipulator est donc l’accouchement de 14 mois de travail et les parallèles avec son amour pour le glam rock et deux de ses idoles que sont Marc Bolan et le David Bowie de l’époque The Man Who Sold The World. Se créant un alias avec son groupe The Manipulators pour les lives, c’est le disque de l’ouverture vers un public plus important et la reconnaissance de son talent. Ceux qui le trouvaient jusqu’alors trop brouillon ou garage s’en prennent donc plein la gueule à coups de guitares jouissives et d’enchaînement délirant de pépites. Encore vu l’an passé dans son intégralité en live, l’album survit à de très nombreuses écoutes et demeure son disque le plus travaillé et l’indispensable de sa disco. Il serait facile de mettre la moitié du disque dans la playfist best-of mais nous nous arrêterons sur les guitares orgiaques de « Feel« , les violons de « The Singer » ou le tube « Susie Thumb » alliant mélodie contagieuse, production lumineuse et rythme furieux en moins de 2 minutes 30.

La mutation.

Comme pour tuer le mythe et redescendre en pression, Ty Segall sort Emotional Mugger. Un projet malade qui semble être un remède à la timidité de son chanteur. Affublé d’un masque de bébé, il lâche la guitare sur ce disque pour se concentrer sur une performance de frontman chtarbé bien illustré dans cette prestation chez les indispensables KEXP. Parfois sacrément saturé et jamais à l’abri d’un virage à 180° en plein morceau, les Muggers peuvent parfois être fatigants mais s’avèrent nécessaires. Avec des souvenirs de show aussi fou qu’arrosé, on apprécie ce tournant inattendu et rafraichissant. « Mandy Cream« , « Squealer« , « Californian Hills » et bien d’autres démontrent des changements dans la production par rapport à Manipulator. Le son est plus lourd, les claviers plus insistants et une belle expérimentation pour finir avec « The Magazine« . Plus à l’aise dans son statut de rockstar des 2010 sur scène et libéré de l’écriture de tubes en studio, il peut continuer son chemin plus serein et parfois aller même plus loin dans le chaos sonore avec un autre projet, Goggs. Ce disque est donc bien plus qu’une cour de récré ou une simple carthasis mais un vrai renouveau.

Sorti en 2017, l’album Ty Segall revient à une approche surprenante et très simple. Souvent porté par une mélodie en guitare folk et une atmosphère assez calme malgré une intro en trombe avec « Break A Guitar« . Pas à une surprise près, on y retrouve une envolée de plus de 10 minutes avec « Warm Hands« . Habitude qu’il gardera pour tous les disques suivants dans ce qui restera avec le recul, un album de transition autant dans la forme que le fond. La suite se veut grandiloquente, sans limite et tonitruante.

L’ode à la liberté.

2018 débute et Ty Segall déboule comme l’année dernière dès janvier avec un nouveau disque sous le nom de Freedom’s Goblin. Sous le signe de la liberté la plus totale, il décide de l’enregistrer dans 5 studios différents avec pas moins de 4 producteurs aux manettes dont Steve Albini et lui-même. 19 morceaux, 75 minutes, le travail est titanesque et la quantité n’est pas au détriment de la qualité. Inspiré d’un bout à l’autre du double album, Ty Segall navigue entre covers discos, hymnes pour sa femme, balade synthétique sans perdre pied sans oublier les brûlots comme « She« . Saxo, cuivres, piano, tout est bon dans le gobelin tant que le morceau le nécessite. Un incroyable boulot de composition et de production pour que le tout sonne aussi cohérent que consistant. Du gars agité au plus amoureux transi de la contrée, notre stakhanoviste ne s’interdit rien et s’affranchit de tout style et durée avec des morceaux allant d’une minute à 12 ! « And, Goodnight » démontre encore le talent de la troupe à s’illustrer dans de longues envolées et finit l’album en beauté avec solos, notes de pianos et interprétation magistrale.

Pour ne rien enlever, les lives évoluent avec le Freedom Band et ouvrent la voie à plus de jam. Encore une fois, une anticipation qu’on n’avait pas vu venir mais bienvenue pour rallonger les morceaux et nous faire kiffer encore plus. En veut pour preuve le premier disque live avec Deforming Lobes enregistré à San Francisco comme ses compères des Oh Sees.

Et maintenant, sans guitares !

Est-ce qu’il y avait plus complexe comme exercice que de retirer la guitare des mains de Ty Segall ? First Taste arrive 18 mois après son gargantuesque prédécesseur et enchaîner paraît à première vue compliqué. Loin de sonner comme un mauvais pari, il fort se tordre les oreilles pour ne pas entendre de guitares lorsque cors, synthés, pianos, flute à bec, mandolines, cuivres et bien d’autres curiosités semblent singer le manche sacré. Une double batterie s’ajoute à la fête de l’expérimentation et chaleur, coffre et puissance sont les maîtres mots d’un disque encore une fois exceptionnel. Rarement la transe aura été aussi totale chez lui avec des titres fous comme « Self Esteem » ou « The Fall » où la machine à percussions s’emballe. La surprise et le goût du défi ne sonnent jamais comme un simple exercice de style ou une case à cocher et l’on se retrouve avec l’un des disques les plus jouissifs de sa longue carrière où le temps passe vite.

Plus mélodieux qu’un Oh Sees, moins expérimental que les King Gizzard mais tout aussi productif et versatile, Ty Segall est une adresse incontournable pour tous ceux en mal de rock à l’ancienne. Maître en riffs assassins, pilote incontesté d’une machine à remonter le temps en concert et plus que résolu à ne pas se répéter, il est l’un de ses artistes passionnants à suivre et décortiquer. Avec des albums à la recette entendue : 35 à 40 minutes en moyenne, un banger pour commencer, quelques balades acoustiques, une longue virée expérimentale et des tubes plein la tracklist. Voici comment il a été délicat de se résoudre à rester sous les 2h30 dans la playfist à retrouver sur Spotify.