Of Montreal – Lousy With Sylvianbriar

Le retour aux sources est un truc de has-been par excellence, une manoeuvre à la désespérée qui neuf fois sur dix ne fonctionne pas. Qui peut sincèrement avoir envie de se répéter et de refaire le même disque dix, quinze ou vingt ans après sans se complaire dans l’auto-hommage narcissique? Fort heureusement et malgré ce qu’on pourrait penser, le nouvel album d’Of Montreal propose tout autre chose que des coups d’oeil anxieux en direction du passé. Par passé, comprendre la genèse indé/lo-fi du groupe et non le boum créatif, sonique et commercial de ‘Hissing Fauna, Are You The Destroyer?‘. ‘Lousy With Sylvianbriar‘ revient bien vers une certaine simplicité – l’album a été écrit en trois semaines et enregistré en analogue – mais plus qu’un bain de jouvence opportun il s’agit d’une énième pirouette jonglant avec des influences souvent inattendues, avec qui plus est une justesse de ton remarquable. Aux vieilles références Nick Drake, Beach Boys et The Kinks on ajoutera ici en vrac et sans faire le tour de la question les Rolling Stones, The Velvet Underground et une bonne dose de Bob Dylan pour un détonnant cocktail garage-folk de très bon goût, rétro sans vraiment l’être, rustique mais pas vieux jeu grâce aux narratives barrées et au songwriting particulier de Kevin Barnes. C’est aussi plus que compétent techniquement, qualité qui mérite d’être soulignée à une époque où presque tout ce qui touche à l’indé vintage respire l’amateurisme – pas toujours de façon rédhibitoire certes mais on ne boudera pas son plaisir devant un groupe qui sait vraiment jouer (et qu’on n’hésitera pas à aller voir en concert à l’occasion). Pour un album spontané et semi-improvisé, la production n’en reste pas moins riche en détails et plus aboutie que 90% des trucs entendus cette année, et l’on se rend compte au fil des écoutes que ces chansons ont une durée de vie bien supérieure à la moyenne. Voilà qui ne devrait pas surprendre les habitués tout en laissant la porte grande ouverte aux nouveaux venus. Le single ‘Fugitive Air‘ est une belle entrée en matière avec son groove stonesien bien senti, bientôt suivi d’une assez magistrale relecture du Bob Dylan de ‘Bringing It All Back Home’/’Highway 61 Revisited’ (‘Belle Glade Missionaries‘), répétée plus tard sur un ‘Hegira Émigré‘ qui pourrait bien finir dans notre série Visual copy of a copy pour sa ressemblance avec ‘Maggie’s Farm‘. Mais les impressions de déjà-entendu ont beau se succéder, d’un point de vue instrumental surtout, l’originalité débordante des paroles et des mélodies de Kevin Barnes font de ce disque bien plus qu’une prévisible série d’imitations. Toujours aussi bavard (il trouve d’ailleurs en Dylan un digne parrain), les éternelles digressions du chanteur se font ici plus sages et directes, moins surréalistes mais comme toujours émaillées de quelques perles (‘I had to make myself a monster just to feel something ugly enough to be true‘), avec des portraits de personnages captivants (‘Obsidian Currents‘, ‘Sirens Of Your Toxic Spirit‘) et quelques passages intimes vraiment réussis (‘Colossus‘, ‘Raindrop In My Skull‘). Après les albums de Deerhunter, Christopher Owens et Unknown Mortal Orchestra sortis il y a quelques mois, voici une nouvelle preuve de la bonne santé actuelle de la scène pop indé américaine, inventive, surprenante et libre comme l’air. On ne sait pas trop où le volatile Kevin Barnes ira planer ensuite mais avec des albums de ce calibre il peut vraiment tout se permettre. Y compris, pourquoi pas, un vrai retour aux sources.