The Limi?anas – Costa Blanca

Avoir d’excellentes influences est une chose, encore faut-il réussir à en tirer un son personnel et distinctif. C’est là toute la saveur du lo-fi extravagant des Limiñanas, groupe aussi cool qu’érudit devenu en trois ans l’ultime export garage-pop hexagonal à coups de singles et d’albums plus originaux les uns que les autres, rétros et intemporels à la fois, respectueux d’un héritage 60’s/70’s ultra codifié mais suffisamment insolents pour en pervertir les clichés. Le genre d’outsiders au charme exclusif dont on s’arrache les vinyles à Chicago comme à Liverpool, plébiscités plus souvent qu’à leur tour dans les tribunes anglo-saxonnes (les Mojo, Q, Pitchfork et consorts), et ce sans hype opportune ni fumeuse étiquette french touch. Au revoir les bobos, du moins pour l’instant, et bonjour aux inconditionnels du microsillon vintage heureux de se dégueulasser les doigts en fouillant dans les bacs d’antiques disquaires à la recherche d’improbables trésors. Entre vicieux dérapages de fuzz et nonchalantes gauloiseries, l’esthétique particulière du psychédélisme des perpignanais n’est plus à définir: les soupirs de nymphes et les volutes de Gitane du Serge Gainsbourg de l’ère Melody Nelson s’entremêlent avec les grooves hypnotiques du Velvet Underground, les mélodies chargées de pathos d’Ennio Morricone et les références au cinoche d’auteur de la Nouvelle Vague. ‘Costa Blanca‘ se fait bien sûr un malin plaisir de mettre en valeur la versatilité du groupe en ajoutant de judicieux et inattendus ingrédients à la recette, tout en accentuant considérablement l’aspect cinématographique de la musique. De l’Algérie à Alicante et au-delà, l’ensemble baigne plus que jamais dans un brassage de cultures, de souvenirs et d’ambiances et multiplie les clins d’oeil au 7ème Art, les interludes, les arrangements impressionnistes et les bribes narratives évoquant la jeunesse nomade de Lionel Liminana – avec au passage de tordantes allusions à une France historiquement ringarde et dépassée par la contre-culture (‘Votre Côté Yéyé M’Emmerde‘), balancées avec tout le détachement et le phlegme habituels. Les récurrentes comptines pop des débuts se muent ainsi en plus expansifs plans-séquences, évolution déjà entamée avec le ‘Crystal Anis‘ de l’an dernier et qui donne souvent à ce troisième album des airs d’obscure BO de film existentialiste des années 70 (l’entêtant monologue de Paula H de JC Satan sur ‘I Miei Occhi Sono I Tuio Occhi‘) ou de western spaghetti tourné par un Andy Warhol pété au Lexomil (‘Cold Was The Ground‘, envoûtant à souhait). On ne trouvera pas ici un single pop de 3 minutes aussi instantané que ‘I’m Dead‘, ‘Je Ne Suis Pas Très Drogue‘ ou ‘Salvation‘ (‘My Black Sabbath‘ s’en approche raisonnablement), mais ‘Costa Blanca‘ finit par s’imposer comme l’album le plus abouti et long en bouche des Limiñanas grâce à une écriture de plus en plus raffinée (‘La Mélancolie‘), des instrumentaux toujours impeccables (le jam irrésistible d »Alicante‘, les envolées de sitar et de bouzouki culminant sur ‘Liverpool‘) et, crucialement, une attention au détail donnant au groupe davantage de profondeur, aussi bien musicale qu’émotionnelle. De l’excentricité frenchy haut de gamme qui n’a pas fini de séduire, ici comme ailleurs, et de faire honneur au souvent morne et prévisible paysage alternatif de par chez nous.