Meshuggah – obZen

La folie, ça se cultive, ça s’entretient, ça se perfectionne. Meshuggah, puisqu’en anglais ça veut dire ‘fou’, a su rester fidèle à son patronyme. Après un ‘Catch 33‘ morceau étiré sur un album aux ambiances très sombres, oppressantes voire chaotiques, nos chers suédois (la Suède c’est formidable, et bla bla bla) nous reviennent avec un 6ème album, ‘oBzen‘, plus qu’inspiré. On est de retour à un format plus ‘classique’ avec des chansons indépendantes, chacune dégageant des atmosphères propres et variées, pour autant elles restent toutes reliées par un concept que le jeu de mot du nom de l’album explique presque à lui tout seul (obZen=obscène+zen), à savoir que l’humanité se repait de toute cette obscénité qu’elle génère elle-même pour atteindre la ‘zénitude’. En image, ça donne un artwork très fort visuellement représentant un personnage androgyne en position du lotus et éclaboussé de sang.
Encore une fois ici, les fous du grand Nord montrent toute leur maîtrise du son, même s’ils ont certainement déçus leurs fans en annulant leurs premières dates de concert prévues afin de terminer comme ils l’entendaient le mixage de l’album et ne pas se retrouver dans la même situation qu’avec ‘Nothing‘, prenant la route trop tôt pour ensuite ressortir l’album avec la réalisation qu’ils avaient véritablement en tête. Bref grand bien leur en a fait de prendre un peu plus leur temps (et puis c’est pas ici qu’on se plaindra des retards… ça arrive, hein… hummm) car la production est énorme, massive, pas un décibel de travers et même les quelques instants de calme semblent parfaitement contrôlés (ceux-là je vous en reparle plus tard). Pour situer un peu l’album, je dirais qu’on est à peu près à mi-chemin entre ‘Catch 33‘ et ‘Nothing‘ avec des ambiances glauques, d’autres passages relativement accessibles pour du Meshuggah et parfois les 2 en même temps ! Le résultat est une grosse baffe en pleine tête, du happy slapping de tympans.
Combustion‘ qui ouvre l’album ne vous laissera que peu de temps pour vous échauffer, les premières sonorités de grattes m’ont fait direct penser à du Tool mais alors que morceau monte en puissance grâce au martèlement de la caisse claire (quelque peu surprenant quand on connaît l’attachement de Tomas Haake à ses cymbales) et à un riff devenu tonitruant, la première petite respiration de l’album n’annonce en fait rien de rassurant car arrive une basse complètement déjantée qui booste fiévreusement le morceau. Comme pour la plupart des titres, rythmiquement, ça part tous azimuts, les premières secondes sont toujours un peu bizarres mais très vite cela fait sens.
En fait je dirais que sur bon nombre des titres, il y a toujours un petit moment ou j’ai l’impression d’entendre du Tool, mais sur un aspect général ça serait un Tool shooté à un cocktail mélangeant caféine, taurine, extasy et un peu de verveine citron (pour le goût). Le meilleur exemple encore est ‘Bleed‘ qui pour le coup me rappelle le riff d’intro de ‘Jambi‘, sauf qu’ils mitraillent avec celui-ci le titre de bout en bout : le résultat est bluffant, 7 minutes d’une brutalité littéralement hypnotique. Pour autant, les gaillards ont un peu pitié de notre sensibilité, ma foi fort malmenée, en ménageant des passages calmes avec ces quelques notes esseulées et d’une apesanteur toute aquatique, d’ailleurs n’est-ce pas un peu un chant lointain de baleines sur le passage ‘apnée’ de ‘Lethargica‘?
Ceci dit les répits ne sont que de courte durée et la remontée à la surface se fait violente avec une déferlante de riffs qui emportent tout sur leur passage. Sur Pravus‘, titre tout en puissance, c’est même carrément un tsunami qui vous chope avec ce break pachydermique à s’en décrocher le cou, le buste et même le tronc entier.
Ce qui est vraiment remarquable dans l’album, ce sont ces changements d’ambiance entre chaque morceau et à l’intérieur de ceux-ci : les Scandinaves savent distiller la lourdeur. ‘Electric Red‘ et ‘Lethargica‘, rythmiquement barrées, de leur ambiance pesante et chaotique peignent dans ma tête la vision d’un orage se rassemblant et grondant toute sa noirceur au dessus d’une mer Baltique démontée. ‘This Spiteful Snake‘ quant à lui se déploie justement comme un serpent d’un rythme lancinant qui vient s’insinuer dans votre cerveau pour muer vers une basse plus sautillante. Dans le même ordre d’idée, ‘Pineal Gland Optics‘ pourrait bien venir titiller le siège de votre âme avec cette basse zébulonesque dont la ligne est encore une fois atypique et cette guitare énigmatique à vous en filer des visions à coup sûr inquiétantes.
Dancers To A Discordant System‘ qui vient conclure l’album de ses 9 minutes est le climax parfait : Meshuggah fait ce qu’il fait de mieux, Haake martyrise ses cymbales, Fredrik Thordendal et sa huit cordes (rien à voir une console nex gen) qui semblent débarquer d’un autre plan astral, Jens Kidman et son chant abrasif. D’une intro calme le morceau devient puissant et envoûtant pour réaliser ensuite l’impossible : faire que les opposés se touchent quand la section rythmique et le chant plombent le morceau dans les abysses alors que la guitare le tire vers les cimes, entre les deux? Des poils au garde à vous ! Ce titre est réellement un des meilleurs que le groupe ait jamais réalisé un peu comme cet album qui, n’en déplaise à quelques soit-disant puristes, est devenu probablement mon préféré de toute leur discographie et que je vous recommande chaudement.