Peter Hook & The Light ✖︎ Trabendo ✖︎ Paris

Que faire quand on a enregistré deux albums mythiques, vu son chanteur tester la solidité des cordes à linge avec sa nuque, parcouru le monde avec ce qu’il restait d’un quatuor de paumés mancuniens, influencé le rock et l’electro à coups de disques géniaux, et quitté ses anciens compagnons pour se retrouver seul face à son histoire ? Peter Hook, bassiste de feu mais encore fumant Joy Division, prend le problème à bras le corps : assumer son parcours, exhumer le répertoire du groupe de Ian Curtis, et éviter élégamment d’évoquer ce qui est devenu Bad Lieutenant, à savoir feu New Order, dont il s‘est fait fraîchement débarqué. Seul, ou presque, celui qu’on appelle encore « Hooky » tombait au Trabendo ce vendredi 11 Mars pour nous rejouer l’incroyable Unknown Pleasures, disque fondateur dans l’histoire de l’après-punk que lui et Joy Division avaient enregistré en 1979. Culotté et mégalo, Peter ? Pas franchement : c’est devant plusieurs centaines de personnes que le bassiste a réveillé le répertoire du groupe maudit pour un tour de piste punk et honnête à souhait.

A 20h30, le Trabendo est plein à craquer et Frustration entre en scène en guise de première partie. Devant un parterre de quadras sortis du taf (effet nostalgie), de petits jeunes (effet « j’ai pas connu, je fais comme je peux », j‘en fais partie) et de rockers situés entre les deux (effet « je suis crédible »), les cinq parisiens mettent progressivement le feu. Le décollage est lent mais vicieux : le son très typé post-punk du groupe finit par mettre une baffe. Affublés de chemises courtes et Docs Marteen’s, les musiciens envoient un rock viscéral, froid mais puissant, et jamais caricatural. Des titres furieux et martiaux comme Midlife Crisis ou Blind consacrent le talent de ces baroudeurs signés chez Born Bad, dont je vous recommande le dernier 45t (évidemment), voire une dose live immédiate.

Une entrée en la matière volontairement référencée, et ce n’est pas le super-daté et électronique Trans-Europe Express de Kraftwerk (1977 quand même) en intro du concert de Peter Hook qui y changera quelque chose. Heureusement, la catastrophe de ce qui aurait pu être un revival glauque et intéressé n’a pas eu lieu. Entouré de musiciens qu’on devine être de bons potes habitués de la scène de Manchester (dont le fiston qui assure la majeure partie des basses), Hooky claque ses cordes pour entamer Atmosphere, testament aérien du chanteur Ian Curtis (1980). On refait l’histoire à l’envers ce soir : pas de complexe sur le répertoire (qui, en plus d’Unknown Pleasures, ratisse large dans les singles et inédits), mais pas de best-of scénique non plus (le deuxième album, Closer, est soigneusement oublié – en vue d‘une autre série de concerts ?). Peter Hook ne redevient pas le bassiste de Joy Division, il ne joue pas non plus à Frankenstein. C’est plutôt comme si Ray Manzarek reprenait The Doors : inattendu, sincère, sans publicité mensongère. Juste un type qui a fait partie d’un groupe et qui veut rejouer des morceaux qui lui appartiennent aussi, quelque part.

Après quelques amuse-gueules discographiques, Hooky balance les titres de Unknown Pleasures pour de bon. Le public, déjà complètement acquis, deviendra carrément dingue sur Disorder, She’s Lost Control, Shadowplay ou l’hyper-punk Interzone. Avec deux amplis basse qui martèlent les lignes rythmiques et écrasent la guitare, on comprend vite qui est le patron. Peter et son bassiste de fils sont sans pitié avec leurs instruments et crachent ces riffs à quatre cordes qui font la plupart du temps la célébrité des chansons de Joy Division. Quand il ne chante pas (et le fait bien, pour quelqu‘un qui remplace Curtis à la volée) ou ne joue pas, Hooky croise les mains sur sa basse, perd son regard dans la foule, et frappe le sol en rythme avec les pieds comme un vieux rhinocéros à qui faut pas la faire.

Après un rappel, le groupe (appelé Peter Hook’s The Light) achève le public avec Transmission et Love Will Tear Us Apart, conclusion magique autant pour les divisionophiles que pour les néophytes. Le bassiste de Joy Division a réussi le pari de ne pas sombrer dans l’hommage ni dans la récupe, de ne pas coller au passé et de laisser un espace aux musiciens et au public pour revivre un petit bout d’éternité rock.

Tracklist

01. Atmosphere (Single – 1980)
02. No Love Lost (An Ideal For Living EP – 1978)
03. Leaders Of Men (An Ideal For Living EP – 1978)
04. Glass (A Factory Sample – 1978)
05. Digital (A Factory Sample – 1978)
06. Disorder (Unknown Pleasures – 1979)
07. Day Of The Lords (Unknown Pleasures – 1979)
08. Candidate (Unknown Pleasures – 1979)
09. Insight (Unknown Pleasures – 1979)
10. New Dawn Fades (Unknown Pleasures – 1979)
11. She’s Lost Control (Unknown Pleasures – 1979)
12. Shadowplay (Unknown Pleasures – 1979)
13. Wilderness (Unknown Pleasures – 1979)
14. Interzone (Unknown Pleasures – 1979)
15. I Remember Nothing (Unknown Pleasures – 1979)

16. Warsaw (An Ideal For Living EP – 1978)
17. Transmission (Single – 1979)
18. Love Will Tear Us Apart (Single – 1979

Merci au Blog Rock’n’Roll Motherf*****s pour la setlist.