Interview ☭ My Brightest Diamond

Avant son concert au Badaboum, nous avons eu la chance de rencontrer Shara Wooden pour discuter de sa discographie et de This Is My Hand, l’un des meilleurs albums de cet année 2014. 40 minutes de discussion détendue avec une drôle de dame charmante et chaleureuse.

Merci Shara pour ton temps, je suis très heureux de pouvoir te parler notamment parce que This Is My Hand m’a scotché. Passons-donc à la première question sur les origines de l’album. Si je me suis bien renseigné, il est lié à ton travail sur un opéra et la lecture d’un livre. Peux-tu m’en dire plus ?
J’ai écrit un opéra récemment en effet mais ça n’a pas grand-chose à voir avec l’album.

(Distraite par la musique qui passe dans le bar du Badaboum, elle demande gentiment s’il est possible de faire arrêter le son pour qu’on puisse discuter au calme)

Trop de musiques à la fois pour mes oreilles, désolée. (rires)

Pas de problème, ce sera plus simple sans bruit de fond. Donc l’album ne vient pas de votre collaboration sur le film-opéra River of Fundament ?
Ah oui, je pensais que tu parlais d’un opéra que j’ai écrit pour le Holland Festival à Amsterdam.

Lorsque j’ai commencé à travailler sur l’album, je n’avais pas envie de faire un album, parce que plus personne n’en achète. Si personne n’en achète, à quoi servent-ils ? J’ai réfléchi à tout ça et j’ai eu quelques expériences liées à la musique à cette période qui m’ont inspirées. Lors du festival Summer Solstice à Berlin, un DJ jouait sur une place publique et tout le monde dansait. Ensuite, j’ai vu une parade à Detroit et il y avait d’énormes fanfares. Comme celles qu’on peut voir dans River of Fundament de Matt Barney. Dans le film, c’est intéressant parce que la musique vient de l’histoire et du lieu où l’action se déroule. Tu as cette espèce de relation imbriquée, d’expérience « 3D » qui t’immerge totalement.

Le but dans tout ça pour moi était de savoir ce qui me plaisait et me poussait à écrire. Cet aspect 3D a nourri mon imagination et ensuite j’ai lu un livre appelé « The World in Six Songs ». Il dégage 6 thèmes pour résumer l’histoire de l’humanité. J’ai donc pris ces thèmes qui sont devenus la base pour mes paroles. Ensuite pour la partie sonore, je voulais quelque chose qui se rapproche de l’univers de la fanfare avec un son arrondi et chaleureux.

A ce moment-là, j’ai pensé à ce que je voulais que les gens ressentent à l’écoute de ça. Je voulais qu’ils soient capables de chanter, danser, taper des mains. Seul ou à plusieurs. J’ai dressé une liste de l’ensemble des pistes que j’avais réussi à obtenir, ça a été le point de départ du disque et j’ai commencé par faire des beats !

Ce que tu dis à propos du fait que les gens n’achètent plus d’albums, qu’ils ne les écoutent plus… C’est pour ça que tu as voulu faire un album plus dansant ? Pour pouvoir capter leur attention ?
Au début de l’humanité, les gens faisaient quoi ? Ils se mettaient autour d’un feu, il y avait des percussions, les gens dansaient et racontaient des histoires. Pour moi, c’était surtout le moyen d’avoir un album plus tribal. Surtout que mon précédent album était enregistré dans un registre plus classique, prévu pour les salles. Ici, je voulais que l’album soit transposable à l’extérieur, en plein air. Lorsque tu veux jouer en festival, il faut que tu mises plus sur les beats.

De ce qu’on entend sur le processus de composition de l’album et à son écoute, tu voulais une musique plus organique. Moins complexe, moins d’arrangements. Ca explique le titre, cette volonté d’offrir quelque chose de plus « simple » ?
Oui, la chanson This Is My Hand est venu du fait d’écrire un album dansant et par la même occasion je me suis rendu compte que je ne savais absolument pas comment écrire ce type de chanson.Une partie de l’explication vient de mes origines, à savoir une famille assez conservatrice et chrétienne.

Selon l’Eglise, le corps c’est mal pour schématiser grossièrement. C’est comme ça que j’ai grandi donc je n’étais pas vraiment autorisé à danser. Ensuite à l’université, j’ai chanté dans des groupes et j’ai eu de nombreux exemples où je me suis dit qu’on n’allait pas me prendre au sérieux en tant que musicienne. J’ai donc décidé de prendre la musique très au sérieux pour leur prouver le contraire. A eux et à moi-même. Cela voulait donc dire ne pas passer par la dance music mais plutôt du rock ou de la musique de chambre.

Sur cet album, j’ai donc voulu reprendre possession de mon corps. Ca doit être similaire à un rite tribal où les personnes s’attrapent les poignets, les bras, le visage afin de communier. Le titre This Is My Hand était donc une manière pour moi de me ré-affirmer.

En voilà une réponse ! J’ai lu dans une interview que « Pressure » venait d’Applause de Lady Gaga. Comment on part de là pour arriver à ce résultat ?
J’ai compté les mesures ! Ce qui est intéressant sur « Applause », c’est qu’elle comporte le même nombre de mesures que « Rolling In The Deep » et beaucoup d’autres pop songs. C’est des maths. Je n’ai pas l’habitude d’écrire ce type de morceau à formule. Il n’y a rien de mal là-dedans, c’est juste un cadre de travail. J’ai voulu utiliser ce canevas pour retrouver les sensations que j’avais ressenti avec « Applause ». J’avais imaginé une chanson avec 2 fanfares, une pour les cuivres et une pour les percussions. L’idée étant que ces deux fanfares entourent l’auditeur. J’avais le concept mais la composition de l’album arrivait à sa fin et je n’y arrivais toujours pas. « Pressure » a été la dernière chanson que j’ai composée pour l’album et j’ai vraiment creusé pour l’avoir, j’étais désespérée. Je pensais avoir un bon album mais il me manquait cette déclaration d’intention : j’avais besoin de « ma chanson à fanfares ! » (rires)

Tu l’as cherché mais ça a valu le coup ! Elle est vraiment super prenante et ce dès les premières écoutes, j’ai un excellent souvenir de ma découverte de ce morceau derrière mon ordi à remuer la tête et taper du pied en me disant : « putain, c’est cool c’est seulement la première de l’album et j’ai carrément envie d’entendre la suite. « 
Ce qui est intéressant également avec This is my Hand, c’est que j’ai réécouté ta discographie en pensant que c’était le plus accessible et rythmé. Ce qui n’est pas vraiment le cas en réalité. Où tu le situes par rapport à tes précédents disques ?
Derrière un album, il y a toujours cette envie de fusionner tout ce que j’aime. Ce qui ne sera jamais possible. J’aime la musique rock et j’ai aussi un rapport particulier avec la musique classique.
Selon moi, le premier album c’était un groupe de rock avec des cordes et un vibraphone. Sur le second, j’étais à fond sur la composition, je me basais notamment sur le travail de Ravel sur « L’Enfant et les Sortilèges » par exemple. Je voulais mixer ça avec de la pop. C’est pourquoi cet album n’est pas vraiment pop. Tu as deux ou trois morceaux pop dessus parce que je voulais voir jusqu’à quel point je pouvais aller.

Sur le troisième, j’oubliais le rock. J’en avais marre d’essayer de mettre d’accord les percussions et les cordes. J’ai opté pour un album 100 % acoustique et classique. Bien que ce soit sur une base de pop songs.

Sur This Is My Hand, je ne voulais pas d’instruments acoustiques. Il y a très peu de guitares. On y retrouve des trompettes, des synthés et des percussions. En fin de compte, que ce soit accessible ou pas, ce n’est pas ma manière de le penser. Même si j’étais consciente que je voulais faire machine arrière sur le rock et ne pas y revenir sur cet album.

Quand je parle d’accessibilité, je ne parle pas en termes de genre musical mais plutôt : « je viens d’entendre ce morceau, j’ai envie de découvrir cet artiste pour voir ce qu’elle a d’autre en stock. »
Oui je vois. Par contre, je pense que les nouveaux morceaux, en dehors de « Pressure » et de « This Is My Hand », ont plus à voir avec Ravel ou Debussy. Plutôt qu’aux pop songs.

Je posais la question aussi parce que je trouve que les dernières chansons de « This is my Hand », de « So Easy » à « Apparition », sont plus ouvertes, lancinantes, instrumentales… Est ce que c’est une impression ou une volonté de laisser une respiration en fin de disque ?
Quand tu arrives vers la fin de l’enregistrement d’un album, t’es émotionnellement très fatigué. Ce qui est intéressant avec le live, c’est que « Resonance » et « So Easy » sont nettement plus rock que dans leurs versions studio où on voulait qu’elles soient smooths, plus atmosphériques. Au cours de l’album, tu dois déjà faire face à beaucoup de choses et il était bon selon nous de ralentir le tempo. Il y a aussi ce moment que tu souhaites atteindre. Dans « Resonance » par exemple, je suis allé jusqu’au bout de mon idée. Ca peut t’arriver en méditation, pendant un concert,… Tu cherches quelque chose, tu persistes et boom, ça vient. Peu importe ce que c’est : les choses de la vie, un orgasme ou quoique ce soit d’autre.

Après t’as besoin d’une cigarette, et voilà « Apparition »… (rires)

J’ai eu ma réponse. (rires)

A propos de la composition, j’ai lu que le contexte dans lequel tu écris était l’une des choses les plus importantes pour vous. Pendant tes différentes tournées, es tu allé dans une ville ou un pays où tu t’es dit pouvoir être inspiré, influencé différemment ?
J’adorerais aller en Afrique, j’en rêve. Peut-être un jour. C’est là d’où on vient et ma musique également avec le blues notamment. En plus, ça coïncide avec mon envie d’aller plus loin dans l’utilisation des beats et le travail sur les voix.

La question suivante n’est pas une critique, juste une curiosité personnelle. Est ce que tu t’es retrouvé coincée dans ce nouveau mode de création ? Ou tout ça t’es venue assez facilement ?
Non, c’était compliqué et tout le processus était assez inconfortable. En gros, c’est comparable à ce qui se passe quand on te demande de faire du café. Tu as ta manière de le préparer et tu le fais de la même manière tous les matins et d’un coup, ta machine casse. Tu en achètes une nouvelle et ton processus change. Tes premières tasses ne seront pas forcément bonnes mais au bout d’un moment, tu auras appris une nouvelle manière de préparer du café. Ce qui est bien parce que ça t’apprend des choses et au final peut-être te donne un meilleur café.

En musique, c’est pareil. C’est bon de se sentir « mal » et au bout du compte, tu arriveras toujours à produire de la musique qui te ressemblera. Mais ce sera plus équilibré. J’écris tellement par moi-même que ça mène à une propension à se demander où est-ce que je viens bien pouvoir aller. C’est pourquoi il est bon pour moi de sortir de sa zone de confort.

Au bout d’un mois d’enregistrement de l’album, j’ai réécris des paroles : « Bad Guy », « Shape », j’ai trouvé « Pressure » le dernier mois de l’enregistrement. Le processus complet a pris 2 ans mais la moitié des éléments ont énormément changé à la dernière minute.

Sorti cette année également, l’EP None More Than You dispose d’arrangements plus complexes et sonne totalement différent de l’album. Est ce que pour toi c’était une manière de concrétiser des collaborations avec Son Lux et Colin Stetson mais également de voir autre chose ?
D’une certaine manière, oui. Mais en fait pour l’album, j’avais envie de beaucoup enregistrer et expérimenter. Pour le titre « Whoever You Are », j’écoutais Skrillex et je me demandais ce que ça donnerait d’enregistrer un morceau à 140 BPM. Après, j’ai voulu y ajouter la dimension fanfare et ça ne sonne absolument pas comme du Skrillex.

A la fin de l’enregistrement, j’avais une vingtaine de chansons. Elles ne correspondaient pas toutes à l’album mais on y avait passé du temps et de l’énergie et on était contents du résultat. On a donc sorti un EP avant This Is My Hand et un autre EP sortira également de ses sessions.

Tout venait donc des mêmes sessions d’enregistrement ?
Oui. Mais les manières de composer étaient totalement différentes.

A chaque fois qu’on lit un article sur toi, l’opéra en fait partie. Comment se fait la répartition entre cette partie de ta carrière de chanteuse et My Brightest Diamond ?
Pour moi, ça dépend juste si je chante pour d’autres personnes. Dès qu’on parle de My Brightest Diamond, ce sera toujours ma vision de la pop. J’ai l’impression que ça dépend aussi de la composition du groupe. Pour l’instant, les 4 albums ont été réalisés par les mêmes personnes. 15 personnes au total, qui vont et viennent.

Quels albums écoutes-tu le plus souvent en ce moment ?
Le nouvel album d’un ami nommé Tim Fite qui s’appelle iBeenHACKED. C’est un concept-album assez critique mais très drôle sur notre rapport aux ordinateurs.
Tinariwen aussi, ils sont canons.

J’aime beaucoup Christine and The Queens également. Elle faisait la première partie d’un de mes concerts ici la dernière fois que je suis venu et visiblement maintenant elle est très suivie. J’en suis très contente, elle est très brillante et intelligente. Elle mérite sa reconnaissance. Je suis contente aussi d’avoir pu la rencontrer avant son succès au cas où elle changerait… (rires)

C’est beau quand ça arrive parce que tu rencontres souvent des jeunes lorsqu’ils débutent let tu espères qu’ils vont réussir à accomplir leur rêves.

Justement, une question que je pose régulièrement, y a-t-il une rencontre fortuite avec un autre artiste qui t’as marquée ? Quelqu’un que tu as pu croiser en tournée ou ailleurs…
Il y a 2 ou 3 ans, j’ai fait un festival à Sydney et j’ai pu jouer à l’Opera House. La veille de mon concert, il y avait Efterklang qui jouait sur place. Un ami s’occupait de la sonorisation donc on est allés les voir. Le show était cool, je rencontre quelques membres du groupes, on se dit bonjour, au revoir et je rentre à mon hôtel.

Le problème c’est que dans la nuit, quelqu’un entre dans la chambre mitoyenne et commence à faire tellement de bruit que je n’arrive pas à dormir. Ils riaient super fort et j’étais complètement jetlaggé comme c’est le cas en Australie. A 4 h du matin, je réussis enfin à m’endormir. Mais à 5 h, ils remettent le couvert et ça me réveille.

Je pète un câble et je m’en vais taper à leur porte : «je suis très contente que vous vous amusiez mais je dois dormir alors pouvez-vous être silencieux s’il vous plaît ? » . Ils se sont tus rapidement sur le coup et me laissent une note le lendemain dans laquelle ils ne s’excusent pas vraiment.

Le lendemain, je vais à l’Opera House, le promoteur me demande comment ça va et je lui raconte. Il me dit : ah bon, c’est bizarre Eftkerlang a fait la fête hier soir et ils m’ont dit qu’une nana était venu taper à leur chambre d’hôtel à 5h du mat !

La nana, c’était moi ! Le promoteur était mort de rire, moi aussi. Efterklang l’a su, nous avons pas mal d’amis en commun mais on en a jamais reparlé pour autant. A Berlin il y a 3 jours, Casper le chanteur est venu à mon concert sans me prévenir et je ne savais plus à quoi il ressemblait. Il est venu me voir et m’a félicité pour le show. Il s’est présenté et s’est excusé pour le bruit à Sydney en me serrant dans ses bras ! Je ne m’attendais pas à ce qu’il m’embrasse mais plutôt à ce qu’il me frappe. (rires)

Pour enchaîner sur cette belle histoire, quelle est ta blague favorite ou la chose qui t’as fait le plus rire récemment ?
Ce qui me fait rire en ce moment, c’est le jeu des rencontres en tournée et des actes manqués. Quand tu te retrouves le lendemain dans une autre ville et qu’une personne de l’équipe se rend compte qu’elle aurait du récupérer le numéro de téléphone de la fille à qui il parlait. J’essaie aussi de jouer les entremetteuses pour notre batteur mais il n’arrête pas se cacher derrière des douleurs de dos… (rires)

On remercie le management, les gens de chez Differ-Ant et l’adorable Shara qui nous confie avant de nous quitter qu’elle enregistrera le lendemain matin une version française de This Is My Hand pour l’émission Label Pop sur France Musique. Version qu’elle jouera le soir même pour terminer son set.

Elle sera de retour à Paris le 13 février 2015 à La Gaïté Lyrique