Deftones ✖︎ Gore

L’évocation de Deftones s’apparente souvent à un petit voyage dans le temps, façon Back To School, baggy et chaussures de skate. Pourtant, le groupe a toujours avancé, ne se laissant pas écraser par les affres du temps (tels leurs comparses Korn ou Limp Bizkit). Malgré quelques coups de mou par-ci par-là, Deftones a toujours su garder la tête haute avec des albums plus ou moins puissants, mais contenant toujours leur lot de surprises. Bref, une trajectoire en dents de scie.

Alors qu’est-ce que les gens attendaient vraiment de ce nouvel opus, Gore ? Un renouveau, un virage à 90° ? Une claque monumentale ? Certainement un peu de tout ça. Est-ce que la déception a été à la hauteur de l’attente ? Oui, comme d’habitude. Mais ce serait bien vite juger Gore qui est certainement le meilleur album de Deftones de ces dernières années. Et il m’aura fallu deux mois de gestation pour le comprendre.

Attendez, ne partez pas si vite !

A la première écoute, l’album passe comme une lettre à La Poste, même un peu trop. On ressort de là sans réelle impression, on a passé un bon moment, sans plus. Et là est l’erreur. Car Gore est un album qui s’apprécie dans le temps, au fil des écoutes. Il ne dévoile pas ses charmes tout de suite, cache ses plus beaux atouts pour qui prendra le temps de l’apprécier.

Gore, c’est une réminiscence du passé, un voyage onirique dans les contrées de Deftones (et même plus, hint à Team Sleep). Une recherche de transcendance qui transparait de prime abord dans le choix d’une production plus étouffée, plus ronde, plus globale et paradoxalement plus sèche. Les guitares rappellent le son de leurs débuts, la batterie est claquante, moins massive, mais toujours aussi précise, la rythmique inventive et intuitive typique de Cunningham. La voix est par contre omniprésente, trop peut-être, les lignes de chant de Chino ne présentant plus aucune nouveauté. Le tout est d’une homogénéité assez déconcertante, comme une évidence. Ce choix de sobriété met en évidence des compositions plus fouillées, aux structures plus recherchées.

Une parfaite contradiction

Chaque chanson s’enchaine dans une étonnante cohérence, les univers défilent, se ressemblent à peine, jouent sur tous les tableaux : alors que Prayers/Triangles et Doomer User restent dans la veine de leurs derniers travaux (Diamond Eyes en tête), Geometric Headdress amorce le changement avec sa rythmique déstructurée familière, mais plus lascive. Les brides du passé s’entremêlent avec le présent et nous plonge dans une sensualité noire dont Hearts/Wire est la pierre angulaire. Les meilleures heures de White Pony reviennent forcément à l’esprit, mais là c’est autre chose, plus limpide, moins brut. Une certaine sérénité est perceptible, en totale contradiction avec les paroles, « Nothing can save me now« .

La contradiction, c’est ce qui domine la seconde partie de cet album. Entre noirceur sourde et colère à peine voilée, Deftones alterne les double faces, passé/présent, sentiment qui prévaut sur Phanton Bride, certainement le meilleur titre de l’album dont le final sonne comme un orgasme, la guitare de Jerry Cantrell (Alice in Chains) n’y étant certainement pas étrangère. Rubicon est presque de trop, certes de qualité, mais jurant à cette place.

Alors oui, l’album manque de titres percutants, d’explosions à la Royal (pour ne citer qu’elle) dont les fans de Deftones sont friands et qui sont devenues la marque de fabrique du groupe. Mais n’était-ce pas un peu trop convenu ? Gore a le mérite d’être plus posé, mais plus fouillé, plus adulte peut-être. Ce qui domine surtout, c’est l’impression qu’une ère s’achève, qu’une parenthèse se ferme. Que pourrait faire Deftones après cet ultime effort, alors que de l’aveu même des membres du groupe, l’osmose avait presque disparu en studio ? Franchement, on ne leur en voudrait pas de terminer sur cette belle note.