MOTOCULTOR 2023 – DIMANCHE 20 AOÛT ★ CARHAIX

Au 4ème jour de festival, ça commence à tirer sévère pour ceux qui comme moi sont arrivés dès le jeudi matin… La fatigue physique est présente, bien sûr, mais une lassitude morale se fait sentir aussi, mon âge avancé y étant peut-être pour quelque chose. Devoir rater une quatrième émission de Slam d’affilée, excusez-moi mais c’est une torture pure et simple, je crois voir Cyril Féraud partout, mais en fait NON, c’est encore un brun à barbe et sweat à capuches, rien à voir… juste hâte de rentrer à la casa, je deviens loco. Petit programme aujourd’hui, donc, mais je compte saisir l’opportunité d’avoir de l’alcool  et des petits fours gratuits en assistant à la conférence de presse de fin de Motoc

Nostromo

J’ai longtemps cherché un lien entre la musique de ce groupe et le film Alien (dans lequel le vaisseau est baptisé Nostromo), mais je me demande s’ils n’ont pas juste choisi ce nom de groupe parce qu’avec tous ces gros “o” ronflants  sa sonorité ressemble beaucoup à un roulement de bulldozer, et donc à leur musique. Froide, implacable, technique, elle a toutes les qualités requises pour un réveil musclé, comme une bonne douche glacée après 50 pompes (ce que je n’ai bien sûr jamais fait de ma vie). Le son de la Supositor Stage n’est pas dingue, mais le charisme et la simplicité du frontman font digérer sans peine ce mélange de hardcore et de grindcore groovy. Javier Varela (c’est son nom) est comme chez lui et chambre allègrement la foule, tout sourire entre chacun de ses aboiements malades. Une belle synthèse de la dualité inhérente à l’esprit metal finalement.

Messa

Contrairement à leur set aux Volcano Sessions de la veille, on est ici au plus près du groupe, enserrés tous ensemble dans le confort ténébreux d’un chapiteau, sans obstacles pour filtrer la sublime voix incantatoire de Sara, la chanteuse/prêtresse transperçant les âmes. Elle annonce rapidement être fatiguée, que c’est le dernier concert de la tournée, mais c’est sans doute de cette fatigue qui nous contraint à habiter totalement nos corps en laissant la pudeur et les limitations de côté, comme après un second souffle : aucune digue superficielle ne résiste aux torrents d’émotion, tantôt tumultueux, tantôt cristallins, convoqués par le doom atmosphérique des italiens. Une pureté spectrale, qui, combinée aux prouesses stoner du guitariste, offre une combinaison d’une rare efficacité. Grand concert pour un grand groupe.

Cave In

Les gars sont dans un numéro de Noisemag sur deux, Metalorgie leur met des 18/20 et Foofree rigole à leurs blagues, mais que voulez-vous, j’ai eu beau essayer de m’y pencher sur album depuis 10 ans, je suis 100% hermétique. C’est la 1ère fois que j’ai l’occasion de les voir sur scène et j’espère comprendre enfin la hype. Mais en fait ça ne fait que confirmer mon impression, et je reste 100% hermétique. Je reconnais la qualité des riffs, la belle énergie, mais je n’ai pas les codes pour atteindre la vérité. Je me rappelle que j’ai mis 6 ans à comprendre Deftones, donc je ne porterai pas de jugement définitif mais je passe mon chemin après 4 morceaux et vais collationner en maudissant mes oreilles incultes.

Rise Of The North Star

Avec tout le temps laissé par ma désertion de Cave In, je décide de me placer tout devant pour Rise of The Northstar. Pas tellement parce que je suis fan du groupe, mais par souci de documenter au mieux leurs katas de scène et d’essayer enfin de comprendre ce que dit le chanteur. À mesure que la foule afflue, je me retrouve malgré moi entouré de marmules bodybuildées, mais je décide de rester pour voir si les pousseurs de fonte aux corps huilés sont là pour en découdre ou juste pour faire leurs beaux (en vrai je rêve de me jeter de toutes mes forces sur leurs biceps d’acier). Je comprends vite en début de concert qu’ils ne sont pas assez à l’aise avec leurs corps pour danser comme des petits fous, et je me retrouve en no-pogo zone, les golgoths se servant de leurs épaisses carcasses comme d’un mur protecteur anti-fun. J’assiste toutefois à la tentative de slam la plus rigolote et pathétique qu’il m’ait été donné de voir, lorsque cette personne décide qu’on doit la soulever au dessus de nos têtes : même à 5 dessus on n’arrivait pas à le porter et on a fini de l’acheminer péniblement dans les bras de la sécurité en soulevant chacun 400 tonnes de barbaque. J’avoue qu’après avoir soupesé sa cuisse je n’ai même pas essayé de donner le max, je ne voulais pas me niquer le dos.

Pour ce qui est du spectacle sur scène (le groupe), posers gonna be posing, et passés leurs efficaces premiers singles Samurai Spirit et Demonstrating My Saiyan Style (qui ont déjà 10 ans, boudiou), rien de neuf sous le soleil. Et surtout, le chanteur articule toujours super mal, très difficile de comprendre ce qu’il dit même en étant tout devant… Mais les vraies paroles ne sont-elles pas celles qui résonnent dans nos cœurs ?

La conf’ de presse

Comme c’est ma 1ère fois au Motocultor, je ne manque pas l’occasion d’aller fureter un peu sous le capot et je délaisse un temps les concerts pour me rendre à la conférence de presse. Celle-ci se déroule dans un bâtiment aux grandes baies vitrées qui surplombe le site et qui sert aussi de lieu de repas et de repos pour les artistes et leurs crews. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et veloutés. J’aperçois à une table un couple de tatoués en pleine partie de puzzle, comme une vision hors du temps. Je les jalouse énormément, et à cet instant faire un puzzle en bonne compagnie me semble être la plus belle chose au monde.

La conférence commence rapidement, et pas sûr que ça ait été annoncé clairement, mais il s’agit en fait d’une conférence de presse conjointe de Yann Le Baraillec, grand manitou du Motocultor, et de Christian Troadec, maire de Carhaix, qui s’avère être un personnage haut en couleurs. Les points que j’ai retenu de cette conférence de presse :

  • Le Motocultor a reçu un accueil très chaleureux des habitants de Carhaix. Déjà rodés à avoir du bruit et des soulards pendant les Vieilles Charrues, et sans doute rassurés par l’exemple des clissonnais avec le Hellfest, ils ont été aussi très agréablement réceptifs au fait de recevoir des pass VIP gratuits, là où les Vieilles Charrues n’offrent rien, les habitants ayant juste une semaine lors de laquelle ils peuvent acheter des places avant les autres.
  • Yann Le Baraillec semble déterminé à continuer à Carhaix et veut se projeter sur le long terme, sans pour autant avoir d’objectif d’expansion : le Motocultor doit rester à taille humaine, avec 16000 entrées max par jour.
  • Quelques axes d’amélioration pour les éditions prochaines : agrandir le camping, faire bosser des artistes pour s’approprier le lieu et proposer plus de décorations “metal”. Ils vont s’associer avec davantage de brasseries locales (effectivement, cette année les stocks de bière locale étaient épuisés dès le vendredi !).
  • D’après Christian Troadec, les Vieilles Charrues voient d’un très mauvais œil l’arrivée du Motoc sur leurs terres et auraient tout fait pour empêcher le Motocultor de s’installer.
  • Le maire annonce que l’année prochaine une grande salle va être construite sur le site de Kerampuilh, ouvrant la possibilité pour le Motocultor à des concerts indoor, ce qui semble mettre mal à l’aise Yann, qui doit expliquer qu’il n’est pas chaud pour ça car il préfère garder le côté été avec de grands chapiteaux. Un léger point d’achoppement entre les deux hommes, qui ont tout de même répété plusieurs fois filer le parfait amour pour l’instant.

À l’issue de la conférence, on aura le droit à un punch de l’amitié gratos (objectif accompli !), et je le savoure en assistant à une la requête d’une adjointe au maire pour qu’AC/DC vienne l’année prochaine. La gueule qu’a tirée Yann Le Baraillec à ce moment-là valait à elle seule le déplacement.

Eyehategod

Retour sous un de mes chapiteaux bien- aimés avec du grunge stoner dégueulasse, qui matche parfaitement avec l’hygiène d’un festivalier moyen après 4 jours à caresser des corps suants et poussiéreux dans la fosse, et je me vautre dedans avec délectation comme un gros cochon, loin des ors VIP et des punchs gratuits sirotés avec des élus de la République.

Le chanteur est composé de 80% d’Ozzy Osbourne, 15 % de Kurt Cobain et 5% de Mark E Smith, ce qui lui confère un énorme charisme, mais le fait aussi rentrer directement dans ma liste des gens que je ne voudrais pas être. Merci à lui d’avoir pris des mauvais choix de vie pour nous et d’être sur scène pour en témoigner. Il nous livre sa terrible vérité en éructant et en s’agitant nerveusement comme un alcoolique chassant le sommeil pour continuer de guincher. Je l’aime.

Carpenter Brut

Coïncidence ? La musique avant le début du show est Backstreet Back des Backstreet Boys, et c’est juste la deuxième fois en deux jours que ce morceau résonne sur une des scènes du Motocultor (remember Little Big), ce qui est à la fois peu et quand même beaucoup trop pour ne pas être signalé.
Dès le début du set je constate que la grosse réputation de Franck Hueso aka Carpenter Brut sur scène n’est pas usurpée : le jeu de lumière noire et rouge me fait penser à un film avec un chasseur de vampire (mais j’ai oublié lequel) la fiesta est incroyable, et c’est un peu comme s’ils avaient mis un festival dans le festival. Hélas, ayant le même degré de concentration qu’un jeune chiot, je passe beaucoup trop de temps du concert à essayer de toucher ce ballon géant qui rebondit dans le public pour vous en faire un compte-rendu plus détaillé. Et je n’ai même pas réussi à l’effleurer… Nouba gâchée, je suis désormais farouchement contre l’utilisation de ballons géants dans les lieux accueillant du public, et je compte bien en parler à mon nouveau pote Christian Troadec.

Elder

Terminer le festival par un gros groupe de desert stoner bien gras semble être un point commun entre le Motocultor avec le Hellfest, et ce n’est pas pour me déplaire puisque je trouve que ça fait effectivement un excellent finish. Après avoir été bousculé dans tous les sens, aussi bien physiquement qu’intellectuellement et spirituellement, se faire rouler dessus par les riffs des Anciens constitue un massage pour l’âme, chaque morceau étant un baume salvateur appliqué avec vigueur par un amant expert. Le temps se dilate comme lors d’un gros roulage de pelle d’adieu sur le quai d’une gare, j’oublie que je suis sous un chapiteau à Carhaix et je décolle vers le cosmos. En tous cas moi ça me fait cet effet là, mais n’hésitez pas à me le dire si vous trouvez que j’en fais des tonnes.

Bilan : Un motoc’ en or ?

Répétons-le une dernière fois : côté musique cette édition 2023 était proche de la perfection. Vous l’aurez noté dans mes reports, j’ai beurré des tartines d’éloges pour quasi un groupe sur deux, et j’ai papoté avec des festivaliers n’ayant pas vu les mêmes groupes que moi et s’étant pourtant régalé tout pareil.

Mais si vous êtes parvenus jusqu’ici vous vous êtes peut-être aussi dit “Hey mais il n’a pas du tout parlé des polémiques : le deuxième camping ouvert à l’arrache, les violences sexuelles, l’épidémie d’exhibitionnisme dû à un manque de toilettes, etc.” Et la raison à cela est simple : je n’ai tout bonnement rien vu compromettant moi-même, et ai découvert ces soucis comme un benêt, a posteriori. Je n’étais pas logé au camping, je dois être le seul humain sur place à ne pas avoir entrevu le moindre bout de zguegue pendant ces quatre jours, et je n’ai assisté à aucun comportement choquant de tout le festival. Tout juste ai-je aperçu plusieurs t-shirts et patchs MGLA et un gars essayant de rentrer sur le site avec un gilet pare-balle et un faux pistolet. J’ai même été agréablement surpris de découvrir un public plus jeune et mixte qu’au Hellfest, à l’image de sa programmation actuelle et éclectique. C’est peut-être là le privilège d’être un homme blanc cis toussa qui n’est pas obligé d’être sur sa garde tout le temps pour ne pas se faire emmerder… Il faut aller voir les témoignages de Balance Ta Scène pour se rendre compte que les violences sexistes et sexuelles gangrènent hélas encore le milieu.

Pour tout ce qui est politique et organisationnel, je vous conseille chaudement cette vidéo de The Doom Dad qui a fait un excellent boulot journalistique pour tenter d’expliquer les raisons du bordel.

On ne peut qu’espérer pour 2024 que les organisateurs écoutent ces critiques, qui traînent depuis trop longtemps et se font entendre avec de plus en plus de force, au risque de voir tout un pan de la scène déserter ces grands rassemblements.